Passions interdites
Le « shojo », nom donné aux mangas qui se destinent à un public féminin, témoigne d’une vitalité et d’une richesse au moins équivalentes à celle du « shojen », le manga pour garçons. En effet, contrairement à la BD occidentale qui concerne essentiellement un public masculin, le manga, lui, est lu par les deux sexes. Il y a donc une grande audience féminine et les œuvres qui la ciblent sont nombreuses. Ce phénomène s’explique par l’originalité du statut de la bd nippone : il s’agit en réalité de la forme japonaise du roman populaire. Il est donc lu par toutes les catégories sociales et toutes les tranches d’âge.
Les shojo sont écrits par des femmes et par conséquent porteurs d’une imagerie et d’un univers très différents du shojen. Difficile bien sûr de résumer le style shojo tant il diffère selon les auteurs et je parlerai seulement d’un genre particulier au sein du shojo que je nommerai le « shojo tragique ». En effet, le ton de ces mangas s’inscrit dans la plus pure tradition tragique, avec les mêmes codes et les mêmes histoires, même si le mysticisme propre à la tragédie prend ici des accents modernes. Les thèmes abordés sont des figures soit divines, soit diaboliques, toujours déchirées entre leurs sentiments et le code moral, ou de façon plus interne entre le mal et le bien, apparaissent sous le joug d’une fatalité peu souriante. Le sujet tourne par conséquent autour d’un interdit transgressé (inceste, pouvoirs divins) et est traité avec un manichéisme poétique que l’on retrouve dans la mythologie. Celle-ci, qu’elle soit grecque, japonaise ou nordique est d’ailleurs une grande source d’inspiration pour ces mangas.
Mais au-delà de la référence thématique, c’est tout un style qui tente d’interpréter graphiquement le ton épique propre aux mythologies. Un grand soin est apporté aux dessins des personnages qui occupent la plupart du temps tout l’espace graphique. La force symbolique des traits est portée à l’extrême et prend souvent un caractère hyperbolique : que du noir pour les caractères sombres, de longs cheveux blancs pour les plus purs… Mais surtout c’est la façon dont l’espace de la planche est utilisé qui rend ce genre particulièrement savoureux : les cadres éclatent, se tordent, les décors ne sont pas ou peu dessinés pour aérer au maximum la page et les lois de la pesanteur ne sont plus respectées, ni même aucune des directions propres à l’espace. Tout est donc centré autour des personnages, de leurs émotions, comme dans toutes les grandes tragédies, et le monde interne à ces mangas n’est plus habité que par ces forces qui s’opposent.
Or ces « shojos tragiques » sont peu accessibles pour nous tellement ils sont étranges et déroutants, même si c’est précisément cette étrangeté qui est séduisante. Le mieux pour pénétrer cet univers est de commencer soit par X de Clamp, soit par deux mangas parus dernièrement et très intéressants. Il s’agit de « Angel Sanctuary » de Kaori Yuki et de « Zetsuai 1989 » de Minami Ozaki. Le premier s’intéresse aux affrontements divins entre anges et démons, le second se veut plus réaliste et plus intimiste. Leur point commun est que leur personnage principal est tenté de transgresser un interdit sexuel, l’inceste pour le premier, l’homosexualité pour le second. Cette tentation est cause d’un schisme interne qui s’exprime de façon symbolique à l’extérieur : le combat des anges pour l’un et une schizophrénie pour l’autre. La lecture en est fortement conseillée pour ceux qui sont prêts à passer de l’autre côté du miroir, pour voir ce qui se fait de beau là où le soleil se lève. Si vous faites l’effort de passer outre vos premières impressions dûes au caractère exceptionnel du genre, c’est un voyage dans un imaginaire japonais et féminin qui vous est offert.
ANGEL SANCTUARY / ZETSUAI 89, éditions Tonkam, 2000, 32 frs.
A noter : sortie du volume 5 de “Stratège” que nous conseillons toujours aussi vivement, et surtout du volume deux de “Cratère”. Dans cette suite de ces histoires extraordinaires écrites par Tezuka, l’art de la narration atteint des sommets. Les histoires souvent tragiques sont d’une grande beauté qui, il faut bien le reconnaître, surclasse le premier volume. Un événement à ne pas rater. Respectivement 48 et 55 frs.
Si pour vous manga est synonyme de Tonkam (et vice-versa), et si information est synonyme d’internet. Alors retrouvez Tonkam sur son site web : http://www.tonkam.com, vous pourrez consulter l’intégralité de leur catalogue et différentes rubriques : Mangavoraces, Vidéo-ciné, agenda, …
Éditeur :
Pays : Japon