Petites morts à Sonagachi de Rijula Das paraît au Seuil, cadre noir.

Chroniques tous | livres

Pour son premier roman, Petites morts à Sonagachi, Rijula Das nous confronte à l’ambiguïté du monde de la prostitution. L’action se déroule dans le quartier chaud de Calcutta. Nous suivons de nombreuses histoires, peu avouables pour la plupart.

Lalee, prostituée au Lotus bleu doit subir les élans romantiques de Tilu Shau, écrivain mineur de romans érotiques. Elle n’a que mépris pour ce Babu, doux rêveur qui compte en plus la sortir de sa condition.

Ou bien le sergent-chef du commissariat de Burtolla, Samsher Singh obligé d’enquêter contre toute attente sur un meurtre dans le bordel où travaille Lalee. Alors qu’il aspire à un quotidien tranquille avant sa retraite. Il se l’offrira d’ailleurs au moyen de menus bakchichs, prix de sa légèreté à endiguer les trafics locaux.

Ou encore Mme Shefali, maquerelle intransigeante du Lotus bleu et de ses hommes de main, sans parler des proxénètes en tout genre qui gravitent dans son établissement. Voilà pour le microcosme de ce business de bas étage.

Mais d’un point de vue macroscopique, on assiste à une traite de femmes, mais aussi d’enfants. Elle implique les hautes sphères de pouvoir ainsi qu’un réseau international peu recommandable sous couvert de spiritualité.

Suite à l’assassinat d’une prostituée de luxe, Lalee se voit proposer de la remplacer. Elle accepte, n’ayant guère le choix en vérité. Pour elle, les débuts sont prometteurs. L’argent et les hôtels 5 étoiles la ravissent. Cependant, très vite, elle est prise comme otage dans ce réseau et doit être envoyée à Bangkok. Elle ne pense plus, alors, qu’à s’échapper. En aura-t-elle le cran ? L’autrice indienne nous plonge dans un monde interlope avec une indéniable humanité, malgré la répugnance de certains individus qu’elle campe avec pertinence. Si elle n’hésite pas à décortiquer les putrides trafics, elle sait faire émerger toute la tendresse que certaines pensionnaires se vouent entre elles. Elle nous détaille avec sagacité combien la chambre des prostituées représente pour elles leur petit coin de liberté.

Les nombreux personnages créent un ensemble hétéroclite de péripéties allant de la blague potache à la tragédie criminelle avec un brio narratif jamais démenti.

En tant qu’autrice, Rijula Das décortique la psyché de l’amant de Lalee, ce demi-héros, avec un regard d’une profondeur toute féministe. Cependant, jamais elle ne le juge. Pour autant, elle ne l’épargne guère. Si bien que derrière son désir mesquin, voire méprisant de mâle en rut, elle nous le montre, après bien des péripéties, sans faux semblants, prêt à accueillir Lalee telle qu’elle le souhaite.

Une œuvre originale, drôle à plus d’un titre dans son style mordant, à savourer autant pour son dépaysement que pour la vérité humaine qu’elle nous permet d’accepter, à l’instar de Tilu Shau.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

Petites morts à Sonagachi de Rijula Das, traduit de l’anglais par Lise Garond, 23,50 €, 384 pages, éd. Seuil, cadre noir. En librairie le 21 mars 2025.

Évènements à venir