Si, parfois, des Japonais abandonnent tout pour disparaître, ils le font rarement sur un coup de tête. C’est un droit au Japon. Ils déménagent de nuit, aidés en cela par des entreprises ayant pignon sur rue. Certaines peuvent être dirigées par un évaporé tout comme son client. C’est le cas dans le reportage fouillé et ardu, Les évaporés du Japon, de Léna Mauger (1) illustré par des photographies de Stéphane Remael.
Le phénomène des évaporés, jôhatsu, n’est pas rare sur l’Archipel. Il s’est même accentué pendant la crise économique de 2008. Ces évaporations dépassèrent le nombre de cent mille contre quatre-vingt-six mille en moyenne les autres années.
Pourquoi ces disparitions ? Les dettes en sont une des causes principales. Les yakuzas ne sont pas renommés pour faire des cadeaux. Mieux vaut s’estomper alors, et vivre une vie d’exclus que de subir les représailles de ces créanciers bornés et radicaux.
Un autre cas humiliant pour un salaryman est la perte de son emploi. L’individu fait en sorte de continuer sa routine quotidienne jusqu’à ne plus pouvoir l’assumer.
La fuite reste l’unique solution à l’exclusion du suicide. La honte du fuyard s’accompagne de celle de sa famille. Le sujet est tabou sur l’Archipel. Une chape de plomb s’abat sur les fautifs. D’autant que cette contrariété met en porte-à-faux le système japonais, celui de ne pas faire de vague. En effet, nombre de ces exclus permettent à l’économie du pays de fonctionner à plein régime pour un coût fortement minoré. Pourquoi le gouvernement les rechercherait-il ? « Ça arrange bien du monde qu’on existe », déclare l’un de ces déchus. Surtout, ils travaillent à des tâches dont personne ne veut, comme liquidateur à Fukushima par exemple.
Si la police n’enquête pas, quelques individus bénévoles dans des associations aident les familles dans leurs recherches. Cependant, c’est très souvent l’échec. Et lorsque l’évaporé est retrouvé, des dizaines d’années l’ont séparé de ses parents.
Pareille à une respiration, quelques chapitres de l’ouvrage, nous livrent d’autres aspects surprenants du pays. Comme cette société qui loue des personnes pour assumer un rôle, dans le cas du livre, celui d’un prêtre pour célébrer un mariage catholique. Quand on sait ce que les Japonais ont fait subir aux Jésuites portugais, on reste dubitatif !
Un reportage au plus près de la quotidienneté de ces évaporés, donc. Ce qui donne lieu à quelques témoignage poignants, même si les difficultés à dénicher ces disparus n’ont pas manqué sur la route du couple de reporters.
La subtilité de la structure de l’enquête nous plonge presque dans un polar tout en restant au plus près de la condition humaine. Voir pour cela, les derniers chapitres.
Un univers plus qu’intrigant sur un phénomène qui l’est tout autant. On en redemande.
Notons aussi la sortie de Vu à Harajuku de Vanessa Montalbano. L’opus est consacré aux modes vestimentaires les plus extravagantes qui contrebalancent l’uniformité de la société nipponne.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique sur la revue Kometa dont elle est co-fondatrice :
https://asiexpo.fr/kometa-si-le-japon-etait-le-centre-du-monde/
Les évaporés du Japon de Léna Mauger, 208 pages, 17€, collection Komon,, éd. les Arènes. En librairie depuis le 7 mai 2025.