Comment un livre peut changer une vie, c’est ce que cette bande-dessinée raconte sous le dessin de Jung. Il tire, comme toujours, son inspiration de sa vie. Et la rencontre d’une jeune Coréenne tombée enceinte à la suite d’une coucherie d’un soir avec l‘un de ses albums en est le point de départ.
Il faut savoir que la société coréenne marginalise absolument les jeunes mères célibataires. Aussi, lorsque Joy apprend avec stupéfaction elle est enceinte, c’est la déprime qui la submerge. Elle qui se voyait déjà artiste de variété ! Admise, en effet, à la grande Académie de K-pop, elle peut faire une croix sur son avenir de rêve. D’autant que son père, avec qui elle avait une connivence délicieuse, vient de mourir et que sa mère est moins démonstrative en gestes d’affection.
Elle s’est même renseignée à la fameuse agence Holt qui se charge de trouver des adoptants pour les mères qui abandonnent leur enfant. Chose courante donc, en Corée et à Séoul particulièrement.
C’est ainsi les destins de cet enfant de Joy et de Jung, lui-même enfant adopté à l’âge de 5 ans et « déraciné » en Belgique que le dessinateur entrecroise dans Destins coréens. Il en profite pour régler ses comptes avec ce « business de trafic d’enfants » et toute la société coréenne étouffant sous un patriarcat absolu : le confucianisme qui exclut encore et toujours les femmes.
Ces dernières, sans réel soutien, tombent dans « le cercle vicieux de la honte et de l’isolement ». Craignant le regard des autres elles finissent même parfois par se suicider du fameux pont de Mapo, tragiquement surnommé « le pont des suicides ».
Le scénario de Laëtitia Marty (l’épouse de Jung, elle-même coréenne adoptée) fait ressurgir les blessures passées de tout enfant adopté, le syndrome d’abandon. Et elle fait de la décision finale de Joy une libération, l’idée de ne pas subir sa vie comme le lui avait appris son père.
Un très bel album esthétiquement enfin, à la fois poignant et plein d’espoir avec ce monochrome jaune qui se déploie sur fond d’encre noire précise et parfois l’inverse. Comme une individualité sur fond d’uniformité et qui rappelle la couleur de peau : miel, la série autobiographique qui a fait connaître Jung au grand public.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Destins coréens de Jung au dessin et Laëtitia Marty au scénario et à la couleur, 136 pages, 20,50€, collection Encrages, éd. Delcourt. En librairie le 26 mars 2025.