Le nouveau cinéma japonais a connu ses heures de gloire au cours de la décennie passée. Hormis l’omniprésent Kitano, aujourd’hui presque aussi connu qu’un Akira Kurosawa, les films de Kiyoshi Kurosawa, Takashi Miike, Shinji Aoyama ou encore Hirokazu Kore-Eda ont rencontré un certain succès chez les critiques et dans les festivals. Les analyses de ce cinéma, elles, commencent tout juste à voir le jour, avec une nouvelle génération d’universitaires pour qui le cinéma japonais ne se limite pas à Ozu ou Mizoguchi. Diane Arnaud et Sebastien Journel ont par exemple publié récemment un ouvrage sur Kiyoshi Kurosawa, chouchou des critiques. Benjamin Thomas, professeur à Lille 3 et collaborateur de Positif, nous propose une étude dense et ambitieuse, qui couvre littéralement tous les films et auteurs de cette nouvelle génération nipponne, ou du moins, ceux dont les œuvres ont été diffusées en Occident.
L’ouvrage est donc imposant, destiné en priorité aux chercheurs ou aux amateurs éclairés à la recherche de nouveautés. L’auteur y raconte en effet longuement plusieurs scènes de films, en résume beaucoup d’autres (le corpus est réellement impressionnant). S’inspirant des ouvrages de Noël Burch (sur le cinéma japonais) et des travaux de l’ethnologue Marc Augé (sur le concept de « surmodernité »), Benjamin Thomas évoque dans une première partie le caractère « néo-présentationnel » des œuvres abordées, comme mode de résistance au modèle du cinéma occidental dominant. Il évoque ensuite la temporalité et le refoulement du passé dans le Japon moderne, incarné par exemple par les fantômes de films comme Ring ou Ju-on, puis les rapports entre le groupe et l’individu, le thème de la solitude, les représentations de la nature et du corps…
Si l’éventail des œuvres abordées est l’atout majeur de cet ouvrage, il est également, parfois, son défaut : Benjamin Thomas aborde en effet des œuvres dont le point commun principal est leur disponibilité hors du Japon, et par conséquent, un grand nombre de films fantastiques (qui furent à la mode après le succès de Ring) ou encore les films de Kitano (cinéaste auquel il a déjà consacré un livre entier). Traitant de ces films sous l’angle de l’ethnologie ou de la sociologie, il développe de nombreuses réflexions passionnantes sur la société japonaise moderne (ou « surmoderne »), et leur écho au sein des pays occidentaux, mais tend à gommer les spécificités de chacun des films abordés en les orientant vers un même sens de lecture. De plus, cette abondance de références et d’œuvres citées pourra effrayer le néophyte. L’ouvrage reste tout de même un document incontournable en langue française pour qui s’intéresse en profondeur au cinéma japonais de ces dernières années, sans considération de genre ou d’étiquette.
Éditeur : Presses Universitaires de Rennes
Pays : France