À l’aune de la menace d’invasion chinoise continentale contre Taïwan, la production littéraire sur le sujet s’amplifie d’année en année. Le nouveau livre de Jacques Gravereau, Taïwan, une obsession chinoise, loin d’alimenter le catastrophisme général, nous détaille par le menu les tenants et aboutissants de la situation actuelle. Mais plus encore, il met en perspective toute la singularité du rapport de force entre les David et Goliath asiatiques.
Après un bref historique du “pourquoi Taïwan ?” (1), l’auteur nous entraîne dans les arcanes de son sujet. Si la question principale va de soi : comment la Chine continentale (le PCC en fait) procède-t-elle pour ramener la brebis galeuse insulaire dans son giron ? La réponse, par contre, implique une multitude de paramètres que sa minutieuse analyse met brillamment en relief. Pour faire simple, deux méthodes contradictoires sont mises en œuvre par les “loups guerriers” du PCC.
La méthode douce implique que « Toutes les stratégies possibles de séduction et de subversion [soient] déployées à l’encontre de Taïwan, de l’influence à la désinformation, de la manipulation à l’ingérence, des zones visibles aux zones grises ». Malgré tous ces désagréments pour Taïwan, l’île s’est toujours fort bien défendue jusqu’à présent contre le Grand frère contrairement à Hong Kong qui a été soumise en quelques années.
La méthode coercitive suppose qu’« Aujourd’hui un puissant courant de matamores militaires chinois de haut rang et de nationalistes virulents et médiatiques répète […] que l’armée chinoise disposerait de Taïwan en trois jours ».
Si militairement l’ancienne Formose (Ilha formosa : « belle île » en portuguais) ne peut rivaliser contre la Chine continentale, elle n’en a pas moins quelques atouts à faire valoir, subtilement exposés par l’auteur. Sans compter qu’un affrontement ouvert entre les deux Chine risque d’entraîner les USA dans le conflit ainsi que tous ses alliés sud-asiatiques. Ce qui aurait pour conséquence inévitable de bloquer le détroit de Malacca. Lieu où transite tout le trafic maritime à destination des principaux pays industriels de l’Asie orientale et en premier lieu la Chine. Une paralysie mondiale ne tarderait pas à survenir au risque de basculer dans une guerre totale. Avec en plus la menace de déstabilisation de l’Empire du Milieu si la résistance taïwanaise s’avérait plus opiniâtre que prévu. Ce à quoi cette dernière se prépare avec sa méthode du porc-épic.
De ce fait, pour le PCC « C’est un risque qu’il ne prendra pas, car son alpha et son oméga est son maintien éternel au pouvoir, quitte à changer de dirigeants. Les forces de rappel intérieures à ce Parti très structuré restent décisives en cas de crise majeure », nous précise l’auteur. De plus, le pari d’ « un coût d’acquisition hors de sens de Taïwan est pour la Chine la première autodissuasion ». Pour les hauts dignitaires chinois, en effet, la situation en l’état est plus profitable pour eux qu’une aventureuse main mise sur l’île.
Un ouvrage édifiant sur le possible avenir planétaire au regard de la catastrophe ukrainienne toujours en cours. L’ouvrage est extrêmement bien documenté, ce qui facilite la compréhension d’un contexte chinois très particulier et qui, parfois, peut vite devenir abscons pour un occidental.
Si la guerre est loin d’être certaine (2), la paix reste à construire. Aussi bien pour les deux Chine que pour le monde dans son ensemble.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique sur L’invention de la Chine, 5000 ans d’histoire de Bill Hayton pour avoir une vision plus large : https://asiexpo.fr/linvention-de-la-chine-5000-ans-dhistoire-de-bill-hayton-parait-aux-editions-saint-simon/
(2) Lire aussi notre chronique https://asiexpo.fr/taiwan-face-a-la-chine-vers-la-guerre-de-valerie-niquet-sort-en-poche/ pour une autre analyse sur le même thème.
Taïwan, une obsession chinoise. Intimidations, zones grises et jeux de guerre mondiaux de Jacques Gravereau.