Le docteur Bounthan Viphaven, vétérinaire diplômé de l’Académie de Moscou, est chargé par le gouvernement communiste du Laos de rapatrier dans son pays un taureau cubain. Si cette ‘idée de départ paraît saugrenue de prime abord, elle n’en est pas moins de la plus haute importance. En effet, nous sommes en 1991 et l’URSS, après le mur de Berlin, s’est effondrée. Le soutien soviétique n’arrive plus à Cuba. La famine menace la Perle des Caraïbes.
Au moyen de la Tricontinentale, vague organisation d’entraide communiste, Fidel Castro cherche à augmenter son cheptel bovin rabougri grâce à « Fidelito » un beau reproducteur chargé d’engrosser les vaches laotiennes. Si le groupe d’experts du pays ramène bien le dit taureau à Vientiane, la capitale, le récit bascule peu après dans une aventure politico-putchiste. L’animal est enlevé et une demande de rançon s’ensuit. C’est alors que le roman prend un aspect plus géopolitique avec l’entrée en scène de la CIA. Qui des rouges ou du monde libre retrouvera « Fidelito » ?
Au moyen d’un prétexte assez loufoque donc, bien dans l’esprit du livre, l’auteur, permet le rapprochement de pays presque antinomiques : Cuba et le Laos, sauf pour le communisme bien sûr, pour mieux affirmer toute son admiration pour l’esprit de chacun. Il nous offre un large éventail de critiques subtiles sur les systèmes qui régissent ces contrées pittoresques. Grâce à un style enlevé et sans faux-semblants, il s’en prend malicieusement aux dirigeants et à l’organisation rigide qui gouvernent le peuple. Au-delà des apparences, il n’est pas dupe de l’égocentrisme des décideurs. Il a lui-même participé au nouveau gouvernement sud-africain.
D’origine huguenote française, Louis-Ferdinand Despreez , nous fait l’honneur de rédiger ses écrits dans la langue de Molière. Avec une connaissance du Français que bien de nos ternes académiciens pourraient lui envier, il édifie un récit auquel on adhère sans réserve. Tant par la subtilité des sujets déployés que par une mise en forme d’une maîtrise digne d’Audiard père.
D’ailleurs, à propos de son style, il reconnaît lui-même que « Comme ce que j’écris dans mes romans n’est ni correct ni convenable, il m’a semblé que le français me permettrait d’aller beaucoup plus loin dans mes imprécations. L’argot français permet de mettre de la distance entre les mots et les situations. » Le lecteur a ainsi une bonne idée du ton de son ouvrage.
Ce qui n’empêche pas l’auteur d’avoir un très sérieux bagage politique (1) qui permet une immersion totale dans les arcanes du pouvoir et de l’histoire pour notre plus grand plaisir. S’ensuit alors une écriture jubilatoire toute en distanciation sur la vanité humaine et, en même temps, pleine de compassion pour les petites gens.
Un voyage plein de ravissement et de surprise pour bien s’élancer dans cette nouvelle année.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Louis-Ferdinand Despreez a été haut-fonctionnaire sud-africain et ancien membre de l’ANC de Nelson Mandela, c’est aussi un auteur talentueux, connu en France pour Le Noir qui marche à pied ou bien Bamboo Song : le plénipotentiaire du vent.
Le Taureau de La Havane, Louis-Ferdinand Despreez, 272 pages, 18€, éd. du Canoë.