Prenez une île : le Sri Lanka. Placez-y deux peuples : les Tamouls, hindouistes, minoritaires et les Cinghalais, bouddhistes, majoritaires. Que croyez-vous qu’il arrive ? La guerre bien sûr ! Ce serait mal connaître l’humain que d’envisager une autre alternative.
Pour d’obscures raisons de préséance au sujet de leur arrivée sur ce territoire, ces ethnies se sont combattues durant trente années, de 1980 à 2010. C’est ce que nous raconte Antonythasan Jesuthasan dans son roman, La Sterne rouge. Surnom que ses compagnes de combats attribuent à son héroïne.
L’auteur sri-lankais est bien connu en France, mais pas en tant qu’écrivain. En effet, il fut l’acteur principal de Dheepan, le beau film de Jacques Audiard. D’origine tamoule, le romancier nous fait partager la vie de son héroïne Ala et de sa famille au sens large par de savants allers-retours entre la guerre et sa vie. Ce qui lui permet de nous relater les us et coutumes ancestrales des villages tamouls. Tout autant qu’il nous dévoile les conditions de vie communautaire en train de se dégrader inexorablement à cause des Cinghalais.
Jusqu’à ses quinze ans, elle mène une vie à peu près normale si ce n’était un sombre grand-père un peu trop entreprenant. À partir de là, l’existence de l’héroïne bascule dans la tragédie. Alors, elle s’engage chez les Tigres tamouls à la recherche de leur indépendance. Le narrateur rapporte, en fait, deux confessions d’Ala, devenue capitaine de l’armée indépendantiste. En effet, choisie par son général, dont elle est amoureuse, Ala doit se faire sauter au cours de l’inauguration d’un pont à Colombo. Elle refuse cet acte, car, pense-t-elle : « Moi, je voulais mourir la tête haute… ». Seule une mort glorieuse sur le champ de bataille lui agrée.
Mais, arrêtée par la police cinghalaise, elle est remise aux services secrets. Pendant des mois, elle endure moult tortures afin qu’elle vende ses camarades. Elle résiste et se voit condamnée à trois cents ans de détention. Plus rien ne peut la sauver. Sauf peut-être, un Occidental qu’elle a épargné lors de son refus d’obéir à son chef…
Tout au long de son magnifique récit, l’auteur nous parle de son peuple menacé dans son intégrité, tout autant que dans sa culture. En 1981, en effet, les Cinghalais brûlèrent toutes les archives tamoules. Ce qui impliquait de leur part, une tentative de génocide. Cependant, le peuple Tamoul a lutté pour sa survie et son droit à la terre de ses ancêtres au même titre que leurs ennemis.
La guerre nous est rapportée, non comme une grande aventure exaltante, mais plutôt comme une succession d’escarmouches hasardeuses ou de lâches assassinats sans autre forme de procès.
Cependant, Antonythasan Jesuthasan nous décrit parfois avec tendresse ou humour certains évènements. Aussi bien ceux dus à la violence que ceux impliquant des relations quotidiennes entre les guerrières ou entre le général Sultan Baba et Ala. Les scènes de torture ou de souffrance ne nous sont pas épargnées tout en restant lisibles. Toutefois, Il n’y a aucune complaisance de la part de l’auteur. Il tient à témoigner de l’horreur de ces combats tout autant que de leur inanité. À l’instar de l’héroïne qui sait bien, dans sa prison, que sa lutte est vaine, mais nécessaire.
Un roman riche, complexe. À lire impérativement pour son humanité qui nous confirme que ce combat a été fondamental tant sur le plan identitaire que sur le plan féministe.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
La Sterne rouge, Antonythasan Jesuthasan, roman traduit du tamoul (Sri Lanka) par Léticia Ibanez, 310 p., 22,50 €, éd. Zulma. En librairie le 03 février.