Un café maison de Keigo Higashino

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Yoshitaka Mashiba avait été très clair dès sa première rencontre avec sa future épouse : il n’envisageait de se marier avec une femme qu’à la seule condition que celle-ci lui donnât un enfant au bout d’une année de vie commune. La belle Ayané n’ayant pas rempli les conditions explicites du contrat, Yoshikata lui annonce sans égards qu’il va la quitter pour une autre femme, susceptible de combler son désir de paternité. Le coeur brisé, Ayané décide de partir quelques jours chez ses parents à Sapporo.
En son absence, Hiromi, l’assistante d’Ayané, découvre le corps de Yoshitaka gisant sur le sol de son salon, une tasse de café renversée à ses côtés. Aussitôt alertés, l’inspecteur Kusanagi et sa collègue Kaoru Utsumi se rendent sur les lieux du crime. Il apparaît rapidement que la grande maison des Mashiba, située dans les beaux quartiers de Tokyo, a été le théâtre du crime parfait. En effet, si l’autopsie révèle que Yoshitaka a été empoisonné par l’arsenic contenu dans son café, les circonstances et les mobiles du meurtre demeurent très énigmatiques. L’opinion des deux enquêteurs quant aux principales suspectes diverge. Alors que Kusanagi, visiblement sensible au charme d’Ayané, ne peut envisager qu’elle soit coupable, Kaoru Utsumi, guidée par son instinct, croit en l’innocence d’Hiromi. Chacun oeuvre de son côté pour tenter d’établir preuves et mobiles et confondre l’auteur du crime. Kaoru fait alors appel à l’aide du physicien Yukama, un expert en logique qui a déjà collaboré avec la police lors d’affaires insolubles. Lorsque Yukama apprend que Kusanagi est égaré par les sentiments qu’il porte à l’une des principales suspectes, il accepte de prêter main forte.

Avis aux amateurs d’action, de meurtres macabres ou pervers, de bas-fonds interlopes et violents : ce roman n’est pas pour eux. Le Café maison de Keigo Higashino exhale en effet davantage le parfum suranné des romans d’une Agatha Christie que les effluves sulfureuses d’un James Ellroy. Cette histoire de meurtre à l’arsenic est ici abordée sous son angle technique et logique, d’autant qu’il pourrait bien s’agir du crime parfait, sans suspect, ni mobile, ni modus operandi réellement recevables. Face à ce cas apparemment insoluble, il importe donc avant tout de mettre en place des stratégies d’investigation, et un des intérêt du roman réside dans la confrontation des différentes méthodes déployées par les trois enquêteurs. Kusanagi s’avère un homme de terrain aux méthodes classiques : il interroge les témoins et enquête sur le passé de la victime et des suspects, tout en luttant contre ses sentiments personnels. Chez Yukama, ce sont la théorie et le raisonnement abstrait qui l’emportent, et il n’hésite pas à emprunter à la science la rigueur méthodique de ses protocoles. Kaoru Utsumi, quant à elle, fonctionne selon un paradoxal mélange d’objectivité et d’intuition. Chacun possède ainsi sa propre façon de se frotter à la réalité, qu’elle relève de l’empathie, de la logique ou de l’instinct. De succès en échec, l’exposition de ces trois méthodes met en évidence la fragilité de toute hypothèse face à l’opacité des faits et des motivations de l’âme humaine. “À chacun sa logique” pourrait être la devise du roman de Keigo Higashino, logique qui dépasse celle de l’investigation pour s’étendre à tous les personnages (mais on ne peut ici entrer dans les détails sans courir le risque de jouer les spoilers…). C’est là la règle du jeu à laquelle s’adonnent les protagonistes de l’histoire, et que le lecteur apprend à comprendre au fil des pages. Jusqu’à la révélation finale, qui, loin de tout débordement passionnel ou compulsion meurtrière, met à jour une singulière conception du crime relevant, à l’inverse, d’une forme de non-agir. On touche là, sans aucun doute, à l’un des aspects les plus fascinants du roman.
Cependant, il faut par honnêteté ajouter ici un bémol. Si la construction du roman est impeccable et comblera certainement les amateurs de raisonnement logique (on pourra d’ailleurs relire avec intérêt le premier chapitre qui contient en germe l’élucidation à venir), celle des personnages en revanche est beaucoup plus monolithique, parfois proche de la caricature (exception faite du personnage d’Ayané, dont l’étrange complexité défie à la fois toute forme de sympathie ou d’aversion). Il en va malheureusement de même avec l’écriture, trop souvent empreinte de répétitions et de lourdeur, notamment dans les dialogues, et dont le style, plat et assez conventionnel, tranche avec l’opacité dont elle tente de rendre compte.

Éditeur : Actes Sud (actes noirs)

Pays : Japon

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