Les lectures des otages de Yôko Ogawa

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Dans une région reculée et indéfinie, huit touristes japonais sont pris en otage. Après plusieurs mois, alors que le reste du monde avait fini par oublier leur existence, tous trouvent la mort lors de l’assaut de la cabane où ils étaient retenus prisonniers. Au milieu des décombres, il ne reste rien des corps. Seuls quelques débris de bois portant des inscriptions témoignent de leurs présences en ces lieux. Deux ans plus tard, un enregistrement clandestin de l’intérieur de la cabane est retrouvé. On y entend huit lectures, lues tour à tour à haute voix par chacun des otages, huit récits fantômes suspendus dans le vide de l’espace et du temps qui précède leurs morts.

À l’origine, les huit récits qui constituent Les lectures des otages sont des nouvelles parues dans une revue japonaise entre 2008 et 2010. Yôko Ogama a choisi de les rassembler et de les fusionner en un ensemble choral, qui dépasse le simple recueil de nouvelles. De la même manière que les corps des huit otages “ne s’étaient pas désolidarisés dans l’explosion et avaient manifestement fondu ensemble”, les huit récits finissent par former un seul bloc. L’image violente de départ cède la place au “nous” des otages, se promettant mutuellement de faire résonner leurs voix depuis l’endroit perdu où ils se trouvent. Confrontés à un futur incertain et à un présent intolérable, les otages se tournent vers le passé et décident d’écrire puis de lire à haute voix et d’enregistrer le récit d’un souvenir particulier. Ces souvenirs-récits ont tous en commun une rencontre singulière qui a fait basculer l’existence de celui ou celle qui en fait à l’expérience, un basculement intérieur causé par une empathie soudaine ou une révélation souvent infime. Autant de rencontres avec l’étrange qui se font sur un mode banal et ordinaire, dans la plus pure tradition du fantastique, qui veut que le bizarre infuse le quotidien jusqu’à un point d’indécision (lequel appartient au final au lecteur). Au travers du dispositif littéraire qu’elle imagine ici, Yôko Ogama a sans aucun doute trouvé la juste métaphore de son propre travail d’écrivain, qu’elle envisage comme celui d’un archéologue cherchant à déchiffrer les écritures laissées par les morts et à faire entendre les voix de ceux que l’histoire a ensevelis. Ainsi s’exprimait-elle lors d’un entretien radiophonique récent* : “Les morts avaient des choses à dire et à raconter de leur vivant, mais ils sont passés dans l’autre monde sans avoir pu le faire. Ils ont oublié les mots qu’ils utilisaient dans le monde des vivants. Ils sont là, partout, notre monde est rempli de leurs voix qu’ils ne peuvent faire entendre. Et les écrivains les recueillent, les transforment, les traduisent. C’est en pensant à cette image que j’écris”.
Dans Les lectures des otages, Yôko Okama fait entendre les voix de ces corps évaporés devenus récitants-fantômes, huit voix singulières qui nous parlent depuis un autre temps, le nôtre, précisément.
*http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-2eme-partie-entretien-avec-yoko-ogawa-2013-05-01

Éditeur : Actes Sud

Pays : Japon

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