C’est un récit de la vie d’Ip Man, maître légendaire de wing chun et futur mentor de Bruce Lee, dans la Chine des années 1930-40, et jusqu’au début des années 1950, lorsqu’il commence à enseigner son art à Hong Kong. Bouleversé par l’invasion japonaise, le pays traverse alors une période de chaos, qui correspond pourtant à l’âge d’or des arts martiaux chinois.
ET UN BEAU JOUR.
Il a donc fallu attendre 6 ans pour découvrir le nouveau film de Wong Kar-wai. Une longue attente par étape mais étrange et gênante. D’abord il fallait accuser et « digérer le coup » après l’échec public et financier de “MY BLUEBERRY NIGHTS”. Le temps pour le « maître hong kongais » de retrouver une sorte de confiance professionnelle et construire un nouveau rêve cinématographique. Et l’on sait que Wong Kar-wai aime prendre son temps. Bien sûr, il y a eu aussi le projet avorté sur « THE LADY FROM SHANGAI » Et un beau jour, entre deux festivals, il nous annonce son idée d’adapter une biographie d’Ip Man (1) Là c’est l’annonce mais entre le moment de l’annonce et le début du tournage, les mois, voire les années s’écoulent.
Et un beau jour, on apprend qu’il tourne, lentement très lentement. Avec tous les aléas d’un tournage difficile, il fait aussi le choix d’enrôler les deux plus grandes stars chinoises, Zhang Ziyi et Tony Leung Chiu-wai, donc une nouvelle exigence se rajoute aux autres (3)
Et un beau jour, on voit juste un visuel puis une bande annonce du film. C’était en 2011 il y a deux ans.. La même année, on voit même des panneaux 4m sur 3m au Festival de Cannes qui annoncent le film. Ca s’appelle THE GRANDMASTER (2) Mais aucune date de sortie. Alors, on attend, on attend. C’est toujours pareil avec Wong Kar-wai, on attend (rappelez vous la livraison de la copie de « 2046 » à Cannes en avion spécial juste 2 heures avant l’avant-première mondiale) Et puis, v’lan, début 2013, la Berlinale annonçe sa sélection officielle avec comme film d’ouverture THE GRANDMASTER et comme président Wong Kar-wai. Je ne sais pas comment l’on dit « bien joué » en chinois mais là c’est quand même à propos.
Pourquoi « bien joué» et pourquoi « attente gênante». Je m’explique.
Bien joué car en ne faisant rien pendant 6 ans, Wong Kar-wai réussit à être président d’un des plus grands festivals de cinéma du monde et, fait rarissime, présenter son propre film en ouverture. Pas mal, bien joué.
Attente gênante car le résultat final après avoir vu le film ce mercredi 17 avril 2013 me plonge dans un état que je n’espérais pas aussi comateux. Il fallait donc attendre et au final ne récupérer que des cendres. Les fameuses cendres du temps dont on aurait pû peut-être se passer quand on se remémore le merveilleux travail de cinéaste de Wong Kar-wai de «AS TEARS GO BY » à « 2046 »
THE GRANDMASTER, son 10ème film, est un film fantôme. On dirait qu’il n’existe pas. Certes, le réalisateur dévoile un canevas historique rare avec la biographie d’Ip Man, un lourd travail de reconstitution historique et un somptueux casting. Mais la mise en lumière des diverses formes de kung fu qu’on nous explique de long en large, horizontal-vertical, étouffe le parcours spirituel mystérieux de cet homme, et ce malgré les louables et beaux efforts du beau et grand comédien Tony Leung Chiu-wai. Trop c’est trop.
Wong Kar-wai se perd très vite dans son film car en racontant minutieusement le pourquoi de tel art martial, tel geste, tel mouvement, il faut aussi le mettre en scène et là ca ne va plus. La technique domine trop et l’emporte sur l’évolution sentimentale des personnages. Le personnage jouée par la toujours aussi belle comédienne Zhang Ziyi apparait comme une pièce rapportée sans vraie personnalité. C’est trop tard, on ne peut plus rien récupérer à un moment donné, on dirait que le film s’est perdu dans cette démonstration technico-kung fu-martial agrémentée de ralentis étouffants voir répétitifs. On y revient tout le temps. Il faut faire comme ci, il faut comme ca sinon le « shogun cantonnais » local ne sera pas content et donc il n’y aura pas de digne successeur (4) Le film devient tellement assommant qu’on est comme « boxé » en pleine poitrine par une manchette de Tony Leung Chiu-wai ou son rival Chang Chen (par ailleurs excellent)
On dirait que Wong Kar-wai s’est trompé de route comme égaré dans sa propre mise en scène.
Alors, soudain, comme pour sortir de cet étouffement, il se libère en nous livrant vingt minutes hors du temps, avec de grandes et profondes images magnifiées musicalement par le sublime et éternel Deborah’s theme d’Ennio Morricone. C’est le grand frisson qui nous prend au bas des reins. Le grand cinéma respire. La musique du maestro caressant les deux plus beaux visages du cinéma asiatique. Au delà de la référence cinématographique majeure (ONCE UPON A TIME IN AMERICA de Sergio Leone) il y a donc l’espoir retrouvé et l’évidente certitude que Wong Kar-wai est un immense cinéaste.
Tout devient grand (magnifique utilisation du scope), beau, sensuel, émouvant et bluffant au niveau de l’esthétique. On est dans l’image, transporté par une vraie beauté, une rare tendresse si rare au cinéma. Mais c’est trop tard, c’est la fin du film. Alors, très cher Wong Kar-wai, n’attendez pas encore 6 ans s’il vous plait pour commencer votre prochain film.
Commencez demain et ce sera forcément un beau jour.
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(1) Maître de Kung-Fu spécialisé dans le style Wing Chun et qui fut le maître de Bruce Lee. Dans les années 30, Ip Man vit à Foshan dans le sud de la Chine, lors de l’occupation japonaise. Face à ses indéniables talents en matière d’arts martiaux, les japonais lui demandent d’entraîner les soldats, ce qu’il refuse catégoriquement. Il va alors devoir lutter pour sa survie.
(2) En cantonais, maître de première génération.
(3) 360 jours de tournage proprement dit, répartis sur trois ans. Avec des périodes de pause, bien sûr, qui servent à réfléchir à l’histoire, chercher des financements, trouver des décors ou achever leur construction. Au départ, il n’y avait pas de scénario.
(4) Le comédien Tony Leung Chiu Wai s’est cassé deux fois le bras au cours de son entraînement au kung-fu.
Acteurs : Avec Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi, Chang Chen, Woo-Ping Yuen
Éditeur : Wild bunch
Pays : Hong-Kong