Lilia, la narratrice de 81 printemps, a choisi de vivre ses dernières années dans une maison de retraite. Ce ne sont pas ses enfants qui l’ont placée là, bien au contraire. Ils ne comprennent pas ce choix, mais ils l’acceptent. En fait, sa décision se résume à cette sombre pensée : « Pour être seule parmi les autres ». Pour autant, elle est en bonne santé avec toute sa tête. Elle ne se laisse donc pas abattre. C’est le moins qu’on puisse dire à la suivre dans ses multiples réflexions et sarcasmes biens sentis. Tout son entourage en prend pour son grade.
Bien sûr, le livre s’articule autour des relations mère et enfants. Elle en a élevé cinq avec trois maris. Mais sa fille aînée, Lucy, s’est suicidée deux mois après avoir accouché d’une petite Katherine. Lilia et son premier mari, Gilbert, l’ont élevée. Si tout au long du roman, la narratrice s’adresse à sa petite fille Katherine, c’est surtout pour mieux comprendre Lucy. C’est la seule qui semble compter dans sa mémoire parmi toute sa progéniture.
D’autant plus que Lucy n’est pas la fille de Gilbert, mais celle d’un amant de passage. En effet, au fur et à mesure que progresse le livre, Lilia nous entraîne à mieux connaître cet homme qui l’a beaucoup intriguée. Si bien que dans la troisième partie du livre, Lilia aborde la lecture du seul ouvrage, un journal en fait, que ce séducteur invétéré, Roland Bouley, est parvenu à écrire. Lui qui aspirait tant à être écrivain ou diplomate…
Nous assistons alors à un constant aller-retour entre passages de ce journal et commentaires de la narratrice qu’elle rédige sur un simple cahier à l’intention de Katherine.
L’ouvrage nous livre ainsi les nombreuses questions et réflexions auxquelles Lilia se confronte bien au-delà de l’histoire vécue. En fait, plus que la narratrice, c’est l’autrice qui nous plonge dans une multitude de questions existentielles avec sa mise en abîme du livre dans le livre. Avec ses thèmes de prédilection : le couple, les traces inoubliables du passé et, plus que tout peut-être, l’impossible communication entre les êtres.
C’est aussi une intense réflexion sur les mots. Leurs limites notamment, car l’autrice n’est pas dupe de leur portée. De leur capacité à transmettre nos sensations sans jamais savoir vraiment comment elles sont perçues par autrui.
Un ouvrage dense et fourmillant sur la condition humaine face aux péripéties hasardeuses de la vie. Et surtout, comment en rendre compte ?
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Partir quand même, Yiyun Li, roman traduit de l’anglais par Clément Baude, 368 pages, 22€, éd. Belfond. En librairie le 16 février.