Au début des années 60, des discussions sur la rétrocession des îles Ryukyu s’engagent entre les USA et le Japon. Elles prendront effet en 1972. Ôe Kenzaburô, célèbre romancier japonais qui deviendra prix Nobel de littérature en 1994, se rend de nombreuses fois sur place à partir de 1965 pour rédiger une série d’articles peu conventionnelle de juin 1969 à avril 1970. Les éditions Picquier publient l’ensemble de ses réflexions agrémenté d’une conférence de l’auteur qu’il a tenu en 1975 à Naha-Okinawa. De plus, un lexique conséquent aidera le lecteur à mieux saisir les enjeux hautement stratégiques de cette zone.
Ôe Kenzaburô, en même temps qu’il prend conscience du statut très « particulier » des îles Ryukyu, se trouve confronté à une question existentielle : Qu’est-ce qu’être japonais en cette fin des années 60 ?
En effet, le statut hors constitution de cet ex-territoire japonais sous administration US depuis 1945, sans qu’il soit totalement exclu du giron nippon, fait de ses habitants des éternels colonisés. Il est plus ou moins indépendant jusqu’à la restauration Meiji en 1868. Le roi des Ryukyu se voit alors contraint d’abdiquer et de rentrer dans l’empire japonais. Ce petit royaume devient ainsi une banale entité administrative sous le nom de : préfecture d’Okinawa.
Ce qui questionne le plus Ôe Kenzaburo, c’est l’éternel dédain dont fait preuve la métropole à l’égard de ces confettis. Lors de la rétrocession, pas plus que sous Meiji, à aucun moment le gouvernement nippon ne s’est soucié de l’avis des autochtones quant à leur désir d’être japonais. De plus les multiples bases aériennes US font, à l’époque, une « terre porte-aviron » pour bombarder le Vietnam. Tout l’archipel se retrouve ainsi impliqué contre son gré dans la guerre contre le communisme.
Par paresse ou par soumission irraisonnée, nous démontre l’auteur dans cet essai, chaque citoyen devient un colonialiste pro-nucléaire soumis à l’empereur et surtout aux USA. Alors que solidaire, le peuple détiendrait les moyens d’imposer un plus juste équilibre des droits de chacun.
Ce texte vaut vraiment par l’opiniâtreté de son auteur à aller chercher les informations que personne ne veut entendre. Il est donc un vibrant plaidoyer pour la reconnaissance des Okinawaiens.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Notes d’Okinawa d’Ôe Kenzaburô traduit du japonais par Corinne Quentin, 256 p., 20.50€. En librairie le le 5 septembre 2019.