Le Kokin Waka Shû est la première compilation de poésies spécifiquement japonaise. Cette anthologie fut créée sur ordre impérial (ère Daigo), au début du Xe siècle. Elle rend compte de cent cinquante ans de création poétique de l’Archipel. Elle est considérée comme un monument de la littérature et de la culture nippones.
L’ensemble se compose de 20 livres pour un total de mille cent onze poèmes. Les waka sont structurés en quintain de trente et une syllabes réparties en cinq vers 5,7,5,7,7 ( bien plus tard, les trois premiers donneront le Haïku). Pour l’édition originale, une préface en chinois et une en japonais (plus longue) présentaient l’ouvrage. C’est d’ailleurs les deux seuls documents connus dont on dispose quant au processus de compilation.
Il est l’aboutissement d’un minutieux travail de classement. Quatre fonctionnaires, mais néanmoins érudits, se sont attelés à la composer avec une subtilité quasi poétique. En effet, les compilateurs, au lieu de classer les textes par auteur ou chronologiquement, suivent le déroulement même du thème abordé. C’est ainsi que l’ensemble des poèmes de saison rend compte de l’évolution de la Nature sur toute une année. Pour les poèmes d’amour c’est le même principe, à savoir : de l’émoi amoureux jusqu’à la rupture. Parfois, l’audace de l’agencement fait même dialoguer des poèmes entre eux. Alors qu’au moment de leur composition, rien ne les reliait, bien évidemment.
Ces deux thèmes représentent chacun un tiers de l’ouvrage. C’est dire leur importance. Il ne faut pas perdre de vue le contexte dans lequel ils sont composés et surtout pourquoi. À la cour impériale, l’essentiel de la communication passe par ces brefs textes selon Jacqueline Pigeot. Ce moyen permet de transmettre des communications plus ou moins intéressées par allusion plus que par affirmation. Le jeu de pouvoir devient tel, qu’une erreur de composition peut briser une carrière.
En effet, le Waka suit des règles de compositions très strictes. Aucun mot chinois n’est admis. Alors que dans la vie courante chacun en use quotidiennement soit pour écrire soit pour converser. Tout ce qui est vulgaire ou effrayant est également banni. L’émotion prime avant tout. « Un waka est la mise en scène poétique d’un sentiment humain ou d’un paysage. » dit Michel Vieillard-Baron, le traducteur de l’ouvrage.
« Oh ! Coucou / Quand j’entends ton premier chant, absurdement / Et sans objet particulier / Voici que je suis amoureux ! »
Sans doute par manque de place, les calligraphie sont absentes de l’ouvrage déjà fort épais. Cependant, en regard de la traduction, la transcription phonétique de chaque poème nous est fournie. Avec le nom des auteurs et les circonstances de sa rédaction. Parfois lorsque cela s’avère nécessaire, un commentaire du traducteur nous éclaire sur un point de détail.
Encore une fois, les éditions Les Belles Lettres nous régalent d’un magnifique recueil. Les trois préfaces éclairent admirablement bien le lecteur sur la manière d’appréhender ces poésies. Ainsi que le contexte raffiné qui structure les rapports si particuliers entre les individus à la cour de Heian.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Kokin waka Shû, recueil de poèmes japonais d’hier et d’aujourd’hui, traduit, présenté et préfacé par Michel Vieillard-Baron, 520 pages, 25€, collection Japon, éd. Les Belles Lettres.