Interview de Julian LEE
Réalisateur de “Night Corridor”, présenté en première européenne,
section New Asian Cinema lors du 9e Festival Cinémas & Cultures d’Asie de Lyon.
par Anne-Laure Brion
Qu’avez-vous pensé de l’accueil de votre film ?
J’ai été très content des questions. Je trouve que, par rapport aux autres festivals dans lesquels je suis allé, les discussions ici étaient plus intellectuelles. Les questions étaient très sophistiquées. J’ai fait tout mon possible pour bien répondre car personne ne m’avait auparavant posé ce type de questions.
En France, les spectateurs essaient de comprendre le film. C’est peut-être la nature des spectateurs français, qui aiment discuter, interpréter… comme dans Les Cahiers du cinéma ! Quand j’ai réalisé ce film, je voulais vraiment que l’on puisse trouver différents niveaux d’interprétation avec plusieurs points d’entrée, plusieurs points de sortie : un côté psychologique, un autre surnaturel, voire politique. Le film, pour moi, est un thriller psychologique. Il y a aussi le thème de l’amour fou. Et c’est au spectateur de choisir. Si pour vous c’est un film d’amour fou, alors c’est un film d’amour fou. Si c’est un film de tabous, alors c’est un film de tabous. Il y a aussi la relation entre la mère et le protagoniste : c’est une tragédie, c’est-à-dire que le passé va resurgir pour influencer le présent. Il y a une fatalité, nous n’avons pas la possibilité de changer la vie. Donc pour moi, c’est aussi une tragédie.
Ça me plait beaucoup de pouvoir partager des avis avec les spectateurs, parce que ce n’est pas seulement moi qui fixe la discussion, qui prépare des réponses : le film est le travail d’un auteur, mais aussi du spectateur, qui est aussi auteur.
Et vous n’avez pas été surpris qu’il y ait peu de questions sur l’esthétique, le travail de réalisation ?
Non. Souvent je trouve qu’on parle beaucoup des acteurs, notamment à Hong Kong. La réalisation, on en parle très rarement. Mais parfois c’est plutôt bon signe, car si l’on remarque les détails techniques, les costumes, etc., c’est que l’on n’a pas trouvé l’histoire intéressante. C’est un voyage : pendant le voyage, on ne regarde pas vraiment les couleurs… Mais ce qui m’a frappé, c’est le nombre de questions sur l’interprétation… tout le monde est un peu un critique. C’est un challenge : ça m’oblige à réfléchir, ça me donne d’autres clés et me permet de penser à ce que je n’avais jamais pensé auparavant.
Au sujet des références, on a parlé d’Hitchcock et de ses apparitions, mais finalement, dans Night Corridor, votre apparition est beaucoup plus importante, vous jouez véritablement un rôle dans l’action…
C’est un peu comme un jeu… joyeux. Il fallait que je fasse une ombre : ce n’est pas moi qui chasse le protagoniste, c’est mon ombre. C’était important dans l’histoire qu’il y ait quelqu’un qui joue ce rôle pour le guider à nouveau dans le château. Donc en fait, ce n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre. Mais bon c’est moi qui l’ai joué parce que c’était moins cher ! Je me suis dit, pourquoi ne pas laisser une image de moi dans mon film, parce que j’en suis le créateur. Et de ce fait, je jouais dans le film un personnage qui décidait de sa vie, de son destin, puisque s’il n’entrait pas dans le château, son destin aurait été très différent.
Vous avez parlé des peintures chinoises pour expliquer votre film, ces peintures où il y a beaucoup de blanc. C’est une espèce de hors champ finalement ?
Je parlais de peinture, parce que mon film s’en inspire largement. J’ai utilisé la philosophie, la peinture, et il y a beaucoup de choses qui ne sont pas données, montrées, mais qui existent. J’ai parlé de la peinture chinoise où il y a beaucoup de blanc, et dans mon film, il y a beaucoup de noir. Il y a même parfois des dialogues avec un fond noir. Il y a un film qui s’appelle Mélo d’Alain Resnais : j’ai commencé à penser à ce film en faisant le mien. Je l’ai vu quand j’étais jeune, et il y avait du noir entre les séquences, de très longs moments de noir, avec du dialogue, ça durait 3 ou 4 minutes. A l’époque, j’avais trouvé ça trop long et maintenant je me dis que c’est peut-être pas mal parce qu’on a vu trop de films d’Hollywood, où tout est montré, on parle, on parle, on parle. Mais grâce au noir, on peut créer autre chose, qu’on peut interpréter différemment, et ça fait une période dans le film, un peu comme une voix intérieure. Mon film n’est pas un film commercial, je n’ai pas besoin de mettre tout le monde d’accord. Un journaliste hongkongais a dit que ce film était allé très loin, il a pointé tout qui n’aurait pas été possible dans un film commercial (le sujets, les allégories sur la peintures…). On dit que je suis très courageux, très ambitieux, en tout cas le résultat est différent et je crois que c’est nécessaire. Moi j’aime tous les types de films, les films muets, les films surréalistes, les films de Jean Cocteau, comme Orphée : je n’y comprends RIEN, je ne comprends rien à l’histoire, ce n’est pas ma culture… mais c’est merveilleux !!! Je suis très attiré par ce film. Je souhaite que les gens qui voient mon film n’utilisent pas les mêmes critères d’appréciation que les films commerciaux qu’ils voient généralement, il faut le regarder comme un film différent.
Vous comme d’autres réalisateurs asiatiques, vous dites : “j’ai fait un film artistique, un film d’art” en l’opposant au cinéma commercial. J’ai l’impression qu’on utilise beaucoup plus cette distinction en Asie qu’en France, en tout cas, vous revendiquez votre film comme un film artistique, alors qu’en France, les réalisateurs ne le disent pas, ne le revendiquent pas.
Ah oui ? Je suis un artiste, je traite différents sujets comme photographe, comme écrivain, comme cinéaste, parfois comme peintre et pour moi, ces activités sont intégrales. J’aime adapter, transformer un genre vers un autre. Là, je vais sortir l’adaptation du film : au départ, c’était un roman, et je l’ai réécrit à partir du film. C’est différent du premier roman : dans le premier, l’histoire est désintégrée, les chapitres se répondent, on peut les relier différemment. Mais dans un film ce n’est pas possible, parce qu’il faut suivre une chronologie.
Ce que j’ai aimé pour ce film, c’est m’inspirer de différents genres de films artistiques, le film noir, le film surréaliste, etc. Mais avant tout c’est l’histoire d’un homme, et on pourrait changer le titre en : L’Homme blessé. Je n’avais pas dans l’idée de faire un film populaire, c’était plutôt pour me faire plaisir, et pas pour le plaisir du box office !
En Occident, on considère souvent le cinéma asiatique comme un cinéma d’art, d’auteur, mais peut-être que le fait que vous le revendiquiez comme ça est en réaction au fait qu’à Hong Kong, on a du mal à reconnaître le cinéma comme un art…
A Hong Kong, il y a la tradition des films de kung-fu, Tsui Hark, mais je pense qu’au Japon, il y a cette tradition de film artistique. Mon film a été invité au festival du film fantastique à Tokyo, c’est-à-dire qu’ils ont considéré que c’était un film fantastique. Ils l’ont labellisé comme ça, mais on peut aussi le voir comme un film d’amour fou… on peut opter pour différents points de vue.
Et donc ça vous a plutôt fait plaisir que le public considère que votre film, c’est tout ça à la fois ?
Oui. Je pense que c’est nécessaire qu’il y ait tous ces points de vue dans un film culte. Un film culte, c’est provocateur. Il y a des gens qui adorent, d’autres qui détestent. Sur ce point, c’est très lynchéen. Il y a des gens à Hong Kong qui disent que je suis un petit David Lynch chinois. Oui, mais bon… sur la technique, c’est vrai, Lynch a vraiment une technique de provocation. Il faut accepter d’être perdu, c’est obsessionnel, c’est une sorte de voyage mystique, c’est un peu comme l’hypnotisme.
Pays : Divers