Dérive des âmes et des continents de Shubhangi Swarup reçoit le prix Émile Guimet.

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Étrange impression que celle ressentie à la lecture de Dérive des âmes et des continents, le premier roman de Shubhangi Swarup. Sa construction s’avère insolite bien que parfaitement maîtrisée tout comme son écriture. Le texte est constitué de quatre histoires très différentes. Seuls des liens ténus les relient. D’une histoire à l’autre, on retrouve certains personnages et la Nature grouillante.

Au début, le lecteur se voit transporté dans les îles Andaman, juste après l’indépendance de l’Inde. Nouvellement marié, un couple se tourne autour. Avec ses particularités, chacun tente de comprendre celles de l’autre.

Ensuite, nous sautons en Birmanie où le général, chef de la junte au pouvoir, fait régner l’ordre militaire. Mary, l’ancienne domestique du couple vient chercher son fils Platon. Il a été arrêté et torturé pendant de nombreuses années pour ses activités communistes. Tous deux se retrouvent à la suite d’une amnistie nationale décrétée pour le congrès bouddhiste de la Sangha.

Puis nous remontons vers Katmandou, la capitale du Népal. Là, Thapa, l’ami de toujours de Platon, la soixantaine prend sous son aile, Bebo, une jeune prostituée. Pour la sortir de sa condition, il est prêt à lui payer une nouvelle vie et à l’installer en Inde. Cela, grâce aux bénéfices qu’il réalise dans divers trafics, dont l’opium, bien sûr !

Enfin, un géologue rencontre dans une crevasse le mari du couple du premier récit. Après une mystérieuse conversation, il s’avère être son grand-père. Non loin de là, dans un village perdu sur les contreforts de l’Himalaya, deux personnes âgées finissent par se marier alors que tout, dans leurs cultures, les rejette loin l’un de l’autre.

À première vue donc peu de liens rattachent ces récits. Sauf l’amour entre un homme et une femme, entre une mère et son fils, un grand-père et une jeune fille et à nouveau entre une femme et un homme. Un cycle s’écoule à travers le temps et l’espace. L’éternel recommencement de la Nature.

L’animisme, plus que les religions, pourtant très présentes, nous révèle un monde de mystère à travers les fantômes des îles Andaman ou les forces telluriques à l’œuvre tout au long du roman. La Nature palpite, gronde ou se répand tandis que les humains tentent de s’y adapter au mieux.

En cela, Dérive des âmes et des continents, est une œuvre éminemment indienne tout comme l’autrice. Tout au long du récit, elle manipule les codes d’une société pluriethnique avec une dextérité sans pareille. Il est vrai qu’on peut parfois se sentir un peu perdu par les thèmes foisonnants et ésotériques des histoires. Mais la littérature ne s’affirme-t-elle pas comme un ensemble de chemins inattendus à emprunter sans a priori ?

Voilà donc un splendide roman dans lequel on se laisse emporter pour son plus grand bonheur esthétique. Et ce, d’autant plus qu’il vient de recevoir le prix de littérature asiatique Emile Guimet.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

Dérive des âmes et des continents de Shubhangi Swarup, traduit de l’anglais (Inde) par Céline Schwaller, 2020, 372 pages, 11€, éd. Suites Métailié.

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