BIRMANIE : REVES SOUS SURVEILLANCE de Grégory Cohen et Manon Ott

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Pages 130 et 131, l’image s’étale en noir et blanc. Le regard lit instinctivement de gauche à droite. Au bord de la première page, le regard d’une petite fille tenant un parapluie. Ces yeux n’implorent pas. C’est simplement une enfant qui est là lorsque la photographie est prise, elle ne pose pas, ne sourit pas. Derrière l’enfant, des soldats autour d’un homme. Peut-être son père. En tout cas, les quatre soldats sont armés et on entend presque l’un d’entre eux lui crier quelque chose. L’homme regarde le sol. De la brume ou de la fumée masque la montagne, un peu plus loin. On passe à la page 131 où un cinquième soldat se gratte la tête en regardant vers l’horizon. Un autre, dans le coin à droite, s’appuie sur son arme.

La Birmanie – rêves sous surveillance est un travail photographique abouti. Pas des clichés, au sens péjoratif et typique du terme. Avec l’image de la petite fille et des soldats, se trouvent des portraits, des scènes de la vie quotidienne. Les deux photographes ont enrichi leur formation en sciences sociales d’un master en cinéma documentaire. Ce mélange donne un ton engagé et juste à l’ouvrage.
Pour faire dans la chronique incitative, on pourrait affirmer que ce livre de textes et de photographies est très agréable à feuilleter. On ajouterait qu’entre les lignes des deux reporters-photographes, la double préface éminente (Robert Ménard, Secrétaire général de Reporters Sans Frontières et Jane Birkin) et les témoignages recueillis au fil des voyages (Birmanie et Thaïlande, 2003-2007), le lecteur prend conscience de la situation “critique”.
Mais ce n’est pas tout. Le Myanmar de la junte militaire a récemment fait la une de nombreux quotidiens. Les manifestations de septembre 2007 à l’encontre du régime ont certainement remémoré à d’anciens étudiants l’année 1988. Des soulèvements populaires avaient inquiété les dirigeants de ce régime non-démocratique par excellence. Autre catastrophe mais non prévisible car naturelle, le cyclone Nargis et ses milliers de victimes ont remis la Birmanie sous les feux des médias. Quant à l’actualité pétrolière, elle devrait également rappeler que la firme française Total est implantée en Birmanie. Les bénéfices tirés de l’exploitation ne sont pas sans intéresser la junte. Tout cela donne un goût particulier à la publication du travail des deux reporters, membres des ” Yeux dans le Monde “.
Les témoignages recueillis par Grégory Cohen et Manon Ott sont de sources assez diversifiées (moines, villageois ruraux, citadins, anciens détenus, militaires). Il est souvent question du Prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, qui reste le symbole d’une résistance. “Elle” est dans le cœur de nombreux Birmans. Ces derniers, qu’ils se revendiquent comme résistants ou non, sont prisonniers d’un système de surveillance très oppressant. Un univers orwellien comme le dit Ludu Sein Win et beaucoup d’autres rencontrés au cours des voyages.
Des indications bibliographiques nous poussent à aller plus loin dans la sensibilisation sur la question de la résistance. Difficile de rajouter quelque chose lorsque l’on referme ce livre. On est à la fois consterné et admiratif. Par la corruption qui mine tout effort issu d’une société civile à bout, par la volonté intacte des anciens, l’espoir des jeunes.

Éditeur : Editions Autrement

Pays : France

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