« Aam Aastha, » ce sont « des croyances communes » et c’est le nouveau projet photographique de Charles Fréger. Il poursuit ainsi son travail sur les mascarades dont on avait déjà eu l’occasion de parler en 2019 avec Yokainoshima (1).
Pour Aam Aastha, le photographe se rend en Inde. De région en région, il assiste aux fêtes rituelles et sacrées qui donnent lieu à de véritables performances dans les temples, les théâtres, les rues et les champs. Ces croyances ancestrales mettent en scène les dieux de l’hindouisme. « Les Hindous affirment vénérer 300 millions de dieux. Incarner une divinité est un acte de piété. On ne se déguise pas on s’identifie à lui […] Incarner un dieu c’est participer à un exorcisme collectif » explique la philosophe Catherine Clément.
C’est vraiment ce que l’on ressent à la vue des photographie de Charles Fréger. Outre les couleurs et la débauche de détails du costume, on est frappé par l’osmose entre le dieu incarné et l’humain. La diversité des figurations est aussi liée aux régions parcourues et aux ethnies rencontrées. Chaque dieu, comme Hanuman, Krishna ou Kali, a ses caractéristiques mais elles se fondent dans des styles très divers. C’est cette variété qui saute aussi aux yeux.
Plus profondément c’est aussi le sens que prend cette diversité des représentations dans l’Inde de Modi. En effet, Il tient la société indienne dans un hindouisme fondamentaliste qui tente d’uniformiser toute pensée. Ainsi, loin d’être une survivance, ces performances sacrées, dans toutes leurs diversités, peuvent aussi s’avérer un outil de résistance à cette uniformisation des esprits.
La romancière Anuradha Roy nous fait part de souvenirs de jeunesse dans différentes régions de l’Inde. À Ranikhet sur les contreforts hymalayens, notamment, dans les années 2000, pendant les 10 jours de fête du Ramlila, qui reprend des scènes du Ramayana, un des 2 textes fondateurs de l’imaginaire indien. Le propriétaire musulman du pressing pouvait incarner Hanuman, tandis que le marchand de légumes incarnait Sita, l’épouse du seigneur Ram. Dans cette région reculée s’il en est, il n’y avait pas de distraction à part la télévision, seul ce spectacle « à la confluence du religieux, du théâtre populaire et de la vie de la communauté, dans lequel des gens ordinaires incarnaient des divinités » était le seul temps fort de l’année. Il rassemblait ainsi tous les habitants sans distinction. Qu’en est-il aujourd’hui ? Et Arunadha Roy de se lamenter de ce que devient l’hindouisme : « Le dieu-singe bienveillant, qui faisait partie de tous les foyers, est devenu la mascotte d’un groupe d’extrême droite. »
Un beau livre donc et moins anecdotique qu’il n’y paraît. Quand la mascarade devient un outil de libération autant qu’un ancrage culturel.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire https://asiexpo.fr/event/yokainoshima-esprits-du-japon-au-musee-des-confluences-de-lyon/
Aam Aastha photographies de Charles Fréger, textes de Catherine Clément, Anuradha Roy et Kuhu Kopariha, illustrations de Sumedha Sah, format 18 X 23cm, 320 pages, 36,90, éd. Actes Sud. Le 8 mars 2023 en librairie.