Quelques jours avant la parution du premier livre en langue française sur le cinéma vietnamien, disponible dans la boutique Asiexpo, nous vous proposons :
Une brève histoire du cinéma vietnamien
Contrairement au cinéma coréen, au cinéma taïwanais, et au cinéma de Chine continentale, le cinéma vietnamien n’est pas parvenu à se faire vraiment reconnaître en Europe et aux Etats-Unis, en dépit du grand talent d’une partie de ses réalisateurs. Pris longtemps en étau entre les exigences de l’idéologie d’état et le manque de moyens, il est sans doute plus connu des amateurs des festivals de cinéma asiatique programmés en Occident que du public du Vietnam, plus attiré par les films américains et les films de Hong Kong, les mélodrames télévisuels et les DVD. Le récent développement d’un cinéma commercial, porté par les studios privés est sans doute un gage d’audience, mais peut-être pas toujours de qualité. En retracer brièvement l’histoire permet d’en évaluer les forces et les faiblesses et, de donner des éléments qui permettent de juger de ses possibilités d’avenir.
5 / La naissance du cinéma commercial : 2004-2007
Ce double circuit persiste et contribue à la diffusion des films vietnamiens hors du Vietnam, mais ce qui a changé récemment la donne, c’est le développement de studios privés autorisés. Une loi votée par l’Assemblée nationale le 21 juin 2006 précise leur statut. Mais, dès novembre 2004, le XIVe Festival du Cinéma vietnamien, a récompensé par un lotus d’argent le film du jeune réalisateur Vu Ngoc Dang, Nhung cô gai chân dai (Filles aux longues jambes), produit par le studio privé Thiên Ngân. C’est la première fois que le jury a reconnu la qualité d’un film produit par un jeune studio privé, ce qui provoqué l’émoi de certains critiques qui ont qualifié, à tort ou à raison, cette œuvre de produit pour le marché. Ces studios privés ont la capacité de mobiliser des fonds en coopérant avec l’étranger, notamment les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon. Comme ils visent à séduire ce vaste public que constitue la jeune génération, ils choisissent des sujets accrocheurs proches de la vie quotidienne et privilégient les films de divertissement. Pour ce faire, ils font jouer dans leurs films des mannequins et des chanteurs de renom, ou recrutent des Viêt Kieu, des acteurs vietnamiens formés et vivant à l’étranger.
Un film récent, emblématique de cette évolution, qui mériterait discussions et jugements motivés est Saigon Eclipse, produit en 2007 par Othello Khanh et lauréat, le 4 mai de la même année d’un prix spécial du jury au Worldfest Houston International Film Festival. Othello Khanh, né à Paris le 22 octobre 1964, a démarré sa carrière en France, au début des années 1980 et s’est fait une place comme producteur à la télévision. En 1993, il part en Californie du sud, puis au Mexique où il produit et réalise un documentaire Ballads whithout a face, consacré à l’armée Nationale de libération Zapatiste. En 1995, il retourne au Vietnam où il fonde Créa Tv qui devient une des sociétés de production télévisuelle les plus actives au Vietnam. C’est plus récemment qu’il s’est tourné vers le cinéma, affirmant au reporter américain, Ron Gluckman, vouloir faire naître au Vietnam, après Hollywood et Bollywood, Bac Ho Ly-wood, allusion ironique à Hô Chi Minh, l’oncle (bac) Ho. Saigon Eclipse, très librement adapté du Kim Van Kieu, long roman en vers du XVIIIe siècle, considéré comme le chef d’œuvre de la littérature vietnamienne, se situe dans le Saïgon du début du XXIe siècle avec une distribution internationale et très “people”. Aux côtés d’acteurs et d’actrices vietnamiens du Vietnam, dont Truong Ngoc Anh, ancien top model, figurent deux Viêt Kieu des Etats-Unis, Dustin Nguyên et Johnny Nguyên Minh Tri, né au Vietnam en 1974. Dustin Nguyên, un des premiers acteurs asiatiques américains à faire carrière à Hollywood, a tourné dans des séries télévisuelles et acquis une renommée internationale comme mannequin vedette de la campagne publicitaire pour les jeans Lévi’s. Johnny Nguyên Minh Tri, qui a commencé sa carrière comme cascadeur à Hollywood est apparu dans un certain nombre de films américains et asiatiques. Chanteur très apprécié des Viêt Kieu américains il s’est rendu récemment au Vietnam, comme scénariste et acteur vedette du film “The Rebel”, présenté à Lyon. Dernier exemple de ce casting très international, Marjolaine Bui, de mère eurasienne et de père vietnamien, ex-styliste et élève du cours Florent, connue en France pour sa participation au reality show “Greg le millionnaire”.
Face à cette concurrence les studios d’Etat qui disposent de plus de moyens financiers qu’auparavant notamment en cherchent aussi des fonds hors du Vietnam, développent deux attitudes. Les uns continuent à produire des films destinés aux festivals ou projetés en séances privées qui continuent, pour une part, à mettre en scène la guerre et ses conséquences. D’autres studios d’Etat, au premier rang desquels le studio Gia Phong essaient aussi de produire des films plus commerciaux en direction d’un jeune public. Pour ce faire Gia Phong a élaboré un calendrier de films de divertissement tels que Thoi xa vang (Temps lointains) dans lequel joue Miss Vietnam 2004 ou Mua len trau (Gardien de buffles) de Nguyên Vo Nghïem Minh qui a obtenu de nombreuses récompenses, notamment au Festival international du film de Chicago en 2004. Mutation technique commune aux deux circuits, l’accélération du développement du DVD au Vietnam. En effet, les salles de cinéma sont encore peu nombreuses (quelques dizaines), concentrées dans les grandes villes et peu sont des salles modernes comme le Centre National de projection de films de Hanoï, où les films vietnamiens sont largement représentés. Le développement des studios privés est donc à la fois une chance et un risque pour le cinéma vietnamien. Une chance, car ce phénomène permet aux cinéastes vietnamiens de s’ouvrir plus largement à d’autres cultures et à d’autre manières de faire du cinéma, de bénéficier de plus de moyens financiers et de mieux distribuer leurs films. Un risque, car le circuit privé privilégie un cinéma racoleur, au détriment de la qualité et d’un regard critique sur la société vietnamienne.
Alain Guillemin
(Chargé de recherche au CNRS, Institut de recherche sur le Sud–Est Asiatique, Maison Asie Pacifique, Marseille).
octobre 2007
Pays : Vietnam