Les éditions Futuropolis fêtent leurs 50 ans ! Joe Sacco, un pionnier de la bande dessinée de reportage et plus particulièrement du gonzo (1) y participe. Avec Souffler sur le feu, il enquête en Inde dans la province d’Uttar Pradesh, au nord, à la frontière du Népal. En effet, c’est là, qu’en 2013 une série d’affrontements violents entre hindous et musulmans ont fait plusieurs morts. Déjà, en 2002, des rixes avaient eu lieu et l’on entend toujours, de loin en loin, des heurts entre les 2 communautés. Plus largement à travers le monde, ces conflits sont exacerbés.
C’est pour cela que Joe Sacco a repris son ouvrage après le Covid, pour aller au bout de son récit. Il l’avait, en effet, délaissé une période, souffrant à dessiner la violence.
Le point de départ donc, c’est l’émeute du 7 septembre 2013, en Uttar Pradesh, précédée d’autres incidents qui semblent tous en rapport avec les femmes. À partir de là, le journaliste part à la rencontre des protagonistes : victimes, représentants, conseillers, chefs de villages… Une avocate hindoue, par exemple, accuse les musulmans de faire le « jihad de l’amour » et elle lutte juridiquement « contre cette souillure ». D’autres prennent tout ce qui leur tombe sous la main.
Joe Sacco donne à voir son enquête minutieuse. Il parcourt les différents villages concernés par les émeutes, accompagné à chaque fois d’un autochtone, souvent un journaliste chevronné du cru, pour parler aux divers protagonistes des 2 communautés. Et à chaque fois le discours, le « narratif » est différent. À chacun sa vérité dirait Pirandello ! Les uns minimisent, les autres dramatisent. Ce qui est certain c’est que ces « antagonismes de classe et de religion piétinent les femmes comme un champ de bataille » et qu’ils servent des intérêts politiques. Le politologue Zilé Singh explique que le BPJ (le parti du 1er ministre actuel Narendra Modi) cherchait, en 2013, une fracture à exploiter dans le secteur rural, comme un moyen de revenir au pouvoir. Et ces violences sectaires ont bien favorisé la carrière politique de Modi.
Scénariste et dessinateur de l’album, Sacco utilise un noir et blanc presque naturaliste, au graphisme dynamique et efficace. Il démontre parfaitement comment les revendications communautaires déstabilisent une démocratie. Et quid de cette démocratie si elle attise elle même la brutalité ? Lorsque chaque groupe construit un récit différent pour justifier sa participation à la violence, c’est toute la société qui est mise à mal.
Une juste réflexion à méditer par toutes les démocraties.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Le journalisme gonzo est ultra subjectif. C’est à la fois une méthode d’enquête et un style d’écriture journalistiques ne prétendant pas à l’objectivité, le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne.
Souffler sur le feu Violences passées et à venir en Inde, récit et dessin de Joe Sacco, 144 pages en couleurs, 20 X 27,2 cm, 22€, éd. Futuropolis. En librairie le 6 novembre 2024.