Indochine, 1954. Minh est un jeune homme de bonne famille. Étudiant aux Beaux-Arts, il vit à Hanoï et rêve de Saint Germain des prés en écoutant du jazz. Mais la réalité le rattrape via son ordre d’incorporation. Son père réussit à lui avoir un sursis d’un an. Pour cela il doit aller gérer les terres familiales en province. Il se sépare donc précipitamment de Lan, sa jeune maîtresse, très éprise de ce bel Apollon. Mais arrivé au village, il doit s’enrôler dans l’armée populaire de libération, du Viêt-Minh de l’oncle Hô.
C’est là que commence la longue marche pour les montagnes où les jeunes hommes, pour la plupart, paysans vont recevoir l’entraînement militaire et la formation politique nécessaires. Ils se rendent donc à la frontière chinoise car cette préparation est dispensée par des instructeurs chinois, maoïstes. Le jeune esthète souffre beaucoup, non habitué à l’effort physique et aux privations.
Grâce à ses talents d’artiste, il intègre la fameuse « unité de propagande armée », ce sont les Quarante hommes et douze fusils du titre. Des artistes plasticiens, écrivains, musiciens, poètes au service de la propagande et des soldats en armes pour les encadrer, assurer leur sécurité et veiller à leur loyauté idéologique dans les villages qu’ils visitent. « Chaque artiste est un combattant politique ». Il n’est pas là pour « informer le peuple, mais pour le former ».
Marcelino Truong rend hommage encore une fois à l’histoire du pays de son père. Après la guerre du Vietnam, c’est celle d’Indochine qu’il raconte à travers son personnage de Minh, engagé bien involontaire dans un conflit qui n’est pas le sien. Ce Candide vietnamien donne à voir comment le combat d’Hô Chi Minh pour la liberté s’est vu biaisé par le grand frère chinois. En effet la lutte pour la liberté des Vietnamiens est devenue lutte des classes avec les Chinois.
Dans ce récit solidement documenté, l’auteur donne corps et vie à un conflit qui s’éloigne peu à peu de notre histoire contemporaine. Il y décrit avec beaucoup d’humanisme le quotidien des soldats, la manipulation de la propagande et les plaisirs esthétiques et apaisants du dessin. Plusieurs personnages sont campés avec un réalisme minutieux tel le camarade Phu Long, Français communiste passé maître ès propagande ou le soldat Hô « le seul type en qui j’avais vraiment confiance dans le camp » dit Minh.
Effectivement, seuls l’amitié et l’amour de la beauté sont à sauver dans cette guerre. Le reste n’est que boucherie et tromperie.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Quarante hommes et douze fusils de Marcelino Truong, 296 pages, couleurs et bichro, format 190X240, 28,90€, éd. Denoël Graphic. En librairie le 19 octobre.