Garin Nugroho est régulièrement à l’affiche des principaux festivals internationaux. Le réalisateur indonésien a été notamment remarqué en 1998 dans la catégorie “Un autre regard” à Cannes, avec Feuille sur un oreiller. L’édition 2008 du festival international du film documentaire de Paris (Cinéma du Réel) lui a d’ailleurs consacré une rétrospective.
Né à Yogyakarta en 1961, ce réalisateur a d’abord tourné des spots publicitaires pour gagner sa vie. Il a ensuite réalisé des longs métrages de genre documentaire.
Son dernier film, Opera Jawa sort en France le 26 mars 2008. Ayant assisté à l’avant-première organisée par Asiexpo, j’ai désiré mettre tout l’enthousiasme suscité en lumière, avec de modestes connaissances, avec des mots.
Opera Jawa est le truchement de trois grandes dimensions : historique (politique dans la province de Java Centre), traditionnelle (le chant javanais) et contemporaine (mise en scène, chorégraphie).
Il faut tout de même être très intéressé par au moins deux de ces domaines pour ne pas s’ennuyer au commencement de la dernière heure du film (durée totale : 2h).
D’un point de vue historique, l’indépendance de l’Indonésie puis les débuts de la toute jeune république ont été marqués par la recherche d’une identité commune à l’archipel (immense : presque 2 millions de km2) et par une corruption latente. Dans Opera Jawa, la métaphore est claire. Lorsque les paysans démunis du fait de la crise économique, on songe, entre autres, à la crise de 1997. Nugroho rappelle qu’au-delà du bien et du mal, les hommes parfois se perdent dans les intrigues de pouvoir et même dans une luxure malsaine.
Les origines du réalisateur tant au plan intellectuel qu’au plan Javanais se ressentent. Les kratons (palais royal) de Surakarta et Yogyakarta font partie des décors du film. Autant de détails qui soutiennent la mention de “requiem pour les victimes des violences à Java Central”, à la fin du générique.
La dénomination d’opéra, pour expliciter la part traditionnelle du film, est tout à fait justifiée. La partition de la pièce en différentes saynètes est matérialisée par des coupures comme dans un véritable théâtre. Des représentations fixes des personnages entrecoupent le film.
La musique de Java, tout aussi singulière que sa cousine de Bali, apparaît ici dans toute sa splendeur. Les chants et les danses traditionnels sont tout aussi bien représentés. Rien d’étonnant à ce que le système dodécaphonique de cette musique soit une barrière pour apprécier dès les premières arias du film-opéra.
Comparé au cadre traditionnel, le spectateur non javaphone bénéficie du sous-titrage.
On retrouve la dualité de ce procédé d’adaptation. Il s’agit davantage d’une adaptation appropriée à la largeur de l’image que d’une traduction travaillée en fonction du sens premier des répliques. On se doute donc bien que les propos en français sont une sorte de synthèse du propos d’origine.
Malgré ces ajustements linguistiques nécessaires, on ne perd pas une once de l’ambiance qui cadre l’histoire. Le thème du Ramayana constitue le point de départ à proprement parler “traditionnel” du film. Ce mythe s’est beaucoup développé en Insulinde, future Indonésie.
Opera Jawa offre de splendides images et mises en scène. La rénovation du genre est d’autant plus intéressante qu’il y a un côté “art contemporain” véritablement transnational.
Il faut avouer que certains passages du long métrage de Garin Nugroho font mouche chez le spectateur amateur d’art en tout genre et de performances. Le fort symbolisme d’une part et l’apparente lenteur d’autre part vernissent l’opéra javanais pour lui donner un éclat particulier.
On prend son temps, suivant le rythme des danses traditionnelles javanaises. La scénographie du théâtre se conjugue à merveille avec les techniques de réalisation du cinéma. Pour preuve, la scène où Sita se retrouve dans la forêt, répondant à l’appel de son prétendant. Cette invitation à se rencontrer se matérialise par un interminable tissu rouge vif s’entrelaçant entre arbres et chemins. Le jeu de couleurs et de lumière est sublimé par la caméra et ses mouvements.
S’il fallait conclure cet aperçu de l’œuvre – défi – de Nugroho, nous pourrions inviter quiconque se réclame de curiosité à découvrir un pan de la culture javanaise (et indonésienne). Cependant, il convient d’ajouter par honnêteté une connaissance succincte mais non accessoire du contexte géopolitique de 1945 contribue à une pleine appréciation du film. Cette œuvre n’est pas sans rappeler au spectateur avisé la volonté unificatrice du défunt général Soekarno.
Quant à l’adaptation de nos ouïes occidentales à l’apparente cacophonie (le gamelan ressemble à s’y méprendre à une casserole) de la musique de Java, il convient de l’aborder comme un frein à la jouissance du public mais non comme une barrière infranchissable. Opera Jawa peut être un enchantement.
Lyon, le 22/03/2008
Acteurs : Artika Sari Devi, Martinus Miroto, Eko Supriyanto, Retno Maruti, Nyoman Sure
Éditeur : Les Films du Paradoxe
Pays : Indonésie