Le Ministère du bonheur suprême d’Arundhati Roy sort chez Gallimard.

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Le roman est construit en deux histoires. La première se passe essentiellement dans dans la caste honnie des hijras, des hermaphrodites : hommes et femmes à la fois ou ni l’un ni l’autre. Anjun (femme dans un corps d’homme) est l’une d’entre eux, née dans un faubourg pauvre de Delhi, elle finit par aller habiter un cimetière et y créer un service funéraire pour tous les morts délaissés par la société indienne : les intouchables, ceux qui travaillent dans le sang et la saleté… Dans la deuxième histoire, on suit trois personnages qui se sont connus à la faculté en jouant ensemble une pièce de théâtre. Tilo est l’héroïne principale, elle vient du Sud et a la peau très sombre. Naga qui deviendra journaliste, mais surtout supplétif des services secrets indiens, est brahmane et fait partie de la caste supérieure indienne. Musa, un cashemiri qui lutte pour l’indépendance de son peuple, vit dans la clandestinité car les autorités veulent l’éliminer. Pendant un temps, Tilo suit Musa mais, à la stupéfaction de Naga, elle finit par l’épouser. Les deux histoires se rencontrent lorsque, pour échapper à la police, Tilo se réfugie dans le cimetière où vit Anjun…

A travers les différentes voies que suivent chacun des personnages, Arundhati Roy nous montre l’évolution tumultueuse de la société indienne depuis la partition de l’Inde d’avec le Pakistan en 1947. Elle est attentive à chaque détail comme il y a plus de vingt ans, dans son premier roman, devenu succès planétaire : Le Dieu des petits riens. C’est à travers eux qu’elle fait ressortir les dissensions que l’Inde n’arrive pas à résoudre. Cela d’autant plus que le régime pseudo laïque tend à devenir une théocratie hindoue ; ce qui prend des proportions tragiques par la chasse aux musulmans en Inde et la quasi guerre au Cashemire. L’auteure montre que la société réagit de façon purement affective aux problèmes de castes, de religions. Ainsi Anjun, de par sa condition ; est à la fois craint et haï, mais il porte aussi bonheur !

On retrouve à travers cette fresque foisonnante, luxuriante et parfois labyrinthique des problématiques qu’Arundhati a abordées dans un précédent essai, Capitalisme : une histoire de fantômes (voir ma chronique dessus). La société indienne vire au fascisme sous l’influence du BJP : le parti nationaliste de Modi, le 1er ministre indien. A sa différence, ce roman est excessif, il y a matière à 3 ou 4 autres dedans ! Mais c’est ce qui fait aussi son intérêt, on s’y perd, on le reprend, emporté qu’on est par l’effervescence de ce pays-monde. A la fois le minuscule et le global réunis en un seul ouvrage totalement atypique ! Espérons qu’il n’y aura pas à attendre 20 ans pour le prochain !

Camille DOUZELET

Le Ministère du bonheur suprême d’Arundhati Roy, Gallimard, 525 pages, janvier 2018, 24€.

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