En japonais, le terme “manga” signifie “bande dessinée”. Il s’applique aussi bien à un dessin humoristique dans un quotidien qu’à une bande dessinée en album. En France, ce terme a été repris pour désigner uniquement la BD nippone et la différencier des autres. On dira un “comics” pour une BD américaine et une “manga” pour une BD japonaise. Au Japon, la manga est un phénomène de société beaucoup plus développé que le BD en France. Ainsi, chaque année, ce sont plus de 1 milliard et demi d’exemplaires qui envahissent les kiosques, les librairies et les petits supermarchés. Par exemple, le magazine de prépublication “Shônen Jump” (qui coûte environ 15F) est distribué à 5 millions d’exemplaires chaque semaine.
La manga est un produit de consommation courante que tout le monde lit, le plus souvent dans les transports en commun. Elle doit donc être très lisible, aérée, rapidement consommable, et même rapidement jetable (en gare d’arrivée). Ce rôle est rempli par les magazines de prépublication regroupant une vingtaine de titres à suivre, dans un ouvrage en papier recyclé aux allures d’annuaire téléphonique. Ensuite, si le lecteur a apprécié une histoire en particulier, il pourra l’acheter sous forme de livre de poche pour la conserver. Cette consommation effrénée a pour conséquence certaines exigences de fabrication. Les dessinateurs sont obligés de réduire le dessin à son strict minimum significatif afin de fournir environ vingt planches par semaine.C’est aussi pour cette raison, et pour un moindre coût d’impression, que la manga est généralement en noir et blanc.
La caractéristique la plus évidente de la manga se trouve dans son découpage cinématographique. Le visuel prime sur le texte. L’ambiance est rendue sans besoin forcé de décors ou de détails. Et surtout bien souvent, le scénario se focalise sur les sentiments des personnages. Mais la plus grosse différence avec la BD française se trouve dans les publics variés, de tout âge, que la manga cible. Au Japon, les BD s’adressent aux très jeunes enfants, aux mères au foyer, aux hommes et aux femmes d’affaires. Chaque public a sa manga. La manga, c’est la bande dessinée qui a su prouver qu’elle pouvait être un médium à la hauteur du cinéma et de la littérature.
Flora HUYNH & Nicolas SEIGNERET
APPRENDRE A DECRIPTER LA MANGA…
1 – Les grands yeux : des yeux comme des billes de loto
Une grande majorité des personnages de BD nippone ont de grands yeux (mais pas tous). Ce style est en fait hérité d’Osamu Tezuka qui, étant un grand fan de Walt Disney, s’est directement inspiré du style “yeux ronds et immenses” de ce dernier, inspirant par la même tous les élèves désireux d’égaler le maître. Mais, si ce style a perduré, c’est surtout pour d’autres raisons plus fondamentales : le but de la BD japonaise est de séduire le public en créant des personnages mignons et attachants. En imitant l’image de l’enfant, il est notablement plus aisé d’attendrir tous les cœurs. Une autre explication tient de la symbolique : les yeux sont les miroirs de l’âme… ils demeurent le biais le plus évident pour faire ressortir les émotions des personnages.
2 – Le sens de lecture : la gauche est ma droite
Le premier facteur qui frappera le lecteur occidental, lors de la découverte de son premier manga, est sans aucun doute le sens de lecture. En effet, au Japon, tout imprimé se lit de droite à gauche en commençant par ce qui tient lieu en Europe de dernière page. Néanmoins, la plupart des manga traduits à destination du public américain ou européen, sont préalablement mis en forme par les éditeurs occidentaux (en retournant chaque page) afin qu’ils soient adaptés à nos pratiques de lecture.
Toutefois, cette opération (qui rend tous les personnages gauchers) n’est pas le seul aménagement nécessaire. Il faut également retoucher les décors afin de pouvoir inscrire le texte dans des bulles horizontales, alors qu’au Japon elles sont plutôt verticales.
Se pose ensuite le problème de la transcription des onomatopées, particulièrement nombreuses dans le BD nippone. Ces dernières sont souvent incrustées dans le dessin et nécessitent une intervention très soignée pour être remplacées.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit que toutes ces retouches sont faites pour placer les lecteurs occidentaux dans un contexte familier lorsqu’il ouvre un manga. Cette démarche est certes purement commerciale, mais il faut avouer qu’elle n’est pas tout à fait dénuée de “sens”…
3 – La narration : la nar…ra…tion
La plupart des manga privilégient la dimension visuelle au détriment du langage verbal. En somme, c’est une narration par l’image plus que par les mots ; ce qui explique pourquoi il est assez facile de décrypter certaines scènes dans un manga même lorsque l’on ne comprend pas le japonais. En fait, l’art du manga procède plus du découpage “cinématographique” (où chaque case représente une séquence) que de la littérature. Une autre particularité de la narration de la BD japonaise est ce qu’il convient d’appeler la dilatation du temps (sans doute héritée du système de prépublication en tranche dans des magazines). Certaines séries ont comme impératif de durer, tout en conservant l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin de chaque chapitre: 14 pages environ). Ainsi les temps forts de l’action sont représentés dans les manga avec un soin sans égal.
Mais ce tour de force a un prix : la dilatation à outrance des moments plus insignifiants. Ce procédé permet par contraste d’accélérer l’intensité dramatique des moments clés du récit.
De la même manière, on peut créer l’illusion d’une pause par l’emploi d’une bulle ne contenant pour tout texte que des soupirs ou des points de suspension. Cette technique permettant d’intensifier l’importance et la violence des dialogues clés, tout en se rapprochant du langage parlé.
4 – La bande son des manga : moins de Bla-bla, plus de… Chibap… Pop… Slam… Wizz !!!
La BD japonaise est sans doute la seule qui puisse s’écouter !!! En effet, une quantité impressionnante d’onomatopées crée dans certains manga un univers sonore à part entière. Si les mouvements rapides des personnages et ceux des véhicules sont utilisés (comme dans la BD européenne) pour dynamiser l’image, une quantité d’autres phénomènes sonores, sont soulignés par des éléments de bruitages graphiques (très compliqués à traduire en substance). Ainsi, certaines réactions des personnages sont soulignées de cette manière. Ces bruitages sont alors assimilables à une espèce de ponctuation qui donne dans la surenchère du détail, impliquant le lecteur quasi-physiquement dans la scène, en simulant artificiellement un sens supplémentaire : celui de l’ouïe !
5 – L’absence de récitatif : dans quel état j’erre ?Toujours en conformité avec la narration par l’image plus que par le texte, les manga n’emploient presque jamais de récitatif pour expliquer leurs cases (pas de : “deux jours plus tard” ou “il se souvenait que”…). En fait il est remplacé par des ruptures de style graphique (la teinte des couleurs, sur les arrondis des cases, sur les décors de fond (flous ou absents)… ceci afin d’évoquer un souvenir, un rêve ou une action déplacée dans le temps.
6 – La page dans tous ses états : ma BD va craquer !Le passage d’une case à une autre n’est soumis à aucune règle précise. Ainsi les vignettes peuvent être étirées, asymétriques, superposées les unes sur les autres. Le style manga oblige le lecteur à s’impliquer à chaque page, voire à changer sa façon de lire entre deux pages d’une même BD.
7 – La dynamique : plus vite, plus beau, plus fortLes manga sont conçus pour être lus, pas pour être admirés. Leur rythme doit être soutenu afin de capter l’attention du lecteur : les décors secondaires par rapport aux personnages, parfois même ils s’effaçent totalement pour faire place à une série de ligne de mouvement (ou traits de vitesse).
8 – L’hétérogénéité : Jean qui pleure, Jean qui ritDans un manga, le mélange de traitements graphiques est fréquent au sein d’une même page, voire d’une même image. Certains personnages peuvent posséder des proportions physiques différentes au fil des planches avec pour objet de montrer un instant comique ou dramatique. De la même façon pour les décors, d’un plan ultra réaliste on peut facilement passer à une case blanche ou tapissée de petites libellules…
9 – Le personnage mannequin : Claudia dans un manga et le personnage témoin : Ô temps suspend ton vol..Eléments centraux du récit et vecteurs d’émotions, les personnages principaux sont représentés de pied, de trois-quart face, et occupant le côté gauche ou droit de la page sur presque toute sa hauteur afin que lecteur puise admirer la plastique et les costumes du héros (ou de l’héroïne). Comme son nom l’indique, ces personnages observent sans réellement participer. Leur rôle est de refléter les sentiments que pourrait ressentir le lecteur.
10 – Androgynes : filles ou garçons ?On reproche habituellement aux personnages de manga d’être complètement asexués. Pourtant ceci n’est pas du à une quelconque déviation sexuelle ; il s’agit simplement d’une caractéristique artistique héritée du théâtre Nô et Kabuki, remontant au XVe siècle, où les hommes étaient pour certains rôles grimés en femmes.
Bertrand ROUGIER
(rédacteur au magazine Animé Fan et du Guide de l’Animation japonaise)
Pays : Japon