Si le thé a pu acquérir une telle notoriété mondiale, il le doit avant tout à un homme, Lu Yu (733-804). D’un aspect physique ingrat selon ses dires, il sut s’élever dans la hiérarchie de son temps par la force d’une volonté inébranlable. Fin lettré, il entreprit de rester libre et indépendant. Ce qui ne l’empêcha pas d’établir de nombreuses relations amicales avec des moines bouddhistes et taoïstes ou bien encore avec des fonctionnaires locaux selon ses nombreux points de chute.
Toutefois, l’affaire de sa vie, c’est le thé. Grâce à une curiosité et un goût très sûr, vers 760, il compile la somme de ses recherches tous azimuts sous le titre, le Classique du thé, (chajing). Quelques ajustements viennent ensuite consolider son propos étayé par ses prospections qui ne cessent que tardivement.
On connaît très bien sa vie et ses différents parcours grâce à son autobiographie. De plus, sa connaissance de nombreux érudits, dont des poètes, nous laisse des textes dithyrambique à son propos accréditant la réalité de ses actions.
Le texte de Lu Yu est réparti en dix chapitres d’inégale longueur. On y apprend les origines du thé en passant par sa préparation au moyen d’ustensiles très précis, notamment quelles céramiques et grès à employer. Comment cuire cette feuille et surtout comment la déguster. De façon anecdotique un chapitre est consacré aux petites histoires autour du thé comme celle où l’on apprend qu’accompagné de quelques autres ingrédients, il peut dissiper les vapeurs d’alcool.
La présentation de Catherine Despeux est fort bien documentée. Dans son introduction, une biographie conséquente nous narre la vie passionnante de Lu Yu à la recherche permanente des meilleurs thés. Ensuite, Elle nous détaille l’historique du classique du thé. Vient encore une classification des thés en fonction de leur lieu production et surtout de leur qualité. Puis elle insiste sur les nombreux ustensiles nécessaires à la fabrication de ce breuvage sous les Tang dont plusieurs sont en or. Des dessins nous détaillent l’aspect de chaque objet. Liées aux déplacements de Lu Yu, des cartes nous précisent ses parcours. À la fin de l’ouvrage de nombreux index permettent aux lecteurs de mieux saisir les correspondances entre les univers occidental et oriental.
Un livre très à la fois instructif mais aussi poétique où l’on apprend que déjà en l’an 760 , le thé était consommé en poudre. Pour l’auteur chinois c’est la meilleure et la seule façon de le déguster. Tout un art de vivre en somme ! Qui influencera les voisins coréen et japonais. En effet, ils adoptent la même méthode de consommation au travers de rituels de dégustation bien différents, cependant.
Le classique du thé est proposé en édition bilingue. Ce qui en fait un ouvrage très esthétique pour un format réduit très pratique.
Notons aussi que paraîtra, dans quelques jours, aux mêmes éditions des Belles Lettres, l’essai très dense et percutant d’un féministe avant l’heure : Fukuzawa Yukichi (1835-1901). En effet, en pleine ère Meiji, il a théorisé sur la nécessité d’éduquer les jeunes filles et de respecter les femmes en tant qu’être humain en premier lieu au sein foyer. Il s’est, en cela, opposé à la fameuse Grande Étude des femmes qui était sorti à l’époque Edo : un manuel de morale réservé aux jeunes filles en vue de les préparer au mariage. D’où son titre : Contre la Grande Étude des femmes (1). À lire absolument pour l’argumentation et la confrontation de valeurs !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Contre la Grande Étude des femmes Textes sur le couple et la famille, traduction et présentation des textes par Marion Saucier, 272 pages, 25€ , collection Japon non fiction, éd. Belles Lettres. En librairie le 5 mai 2023.
Le classique du thé, Lu Yu, texte présenté, traduit et annoté par Catherine Despeux, collection Bibliothèque chinoise, éd. Belles Lettres, 132 pages, 26,50€.