La femme de Seisaku de Yasuzo Masumura

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“Contrairement à l’homme, qui n’est qu’une ombre, la femme est un être qui existe réellement, c’est un être extrêmement libre –voilà l’érotisme tel que je le conçois. ” Yasuzo Masumura (1924-1986)

Le lâche et la putain

Ayako Wakao (Okane dans le film) aime Seisaku (Takahiro Tamura dans la vie), le héros de la patrie, le glorieux militaire. La douce a enfin trouvé dans ce charmant jeune homme, l’oubli d’une relation forcée avec un vieillard, mort et enterré depuis peu. On voit d’ailleurs à l’œuvre les héritiers de l’ancêtre, préparer dignement la succession et éviter soigneusement les formalités avec Okane, soucieux qu’ils sont de préserver les apparences. Ils lui laissent le soin de déguerpir au plus vite, avec de l’argent, tout de même. Il ne faut plus qu’elle les embête. Et surtout qu’elle n’assiste pas à la cérémonie, en présence de la famille.

En quelques traits, Masumura nous convie à découvrir l’une des sociétés les plus hypocrites du monde. Les parents d’Okane meurent l’un après l’autre d’épuisement, le père de travail, la mère de chagrin. Excentrée dans le village, Okane se retrouve avec un cousin idiot, raillée par la communauté, mais son caractère va étrangement séduire Seisaku. Il brave les interdits familiaux et moraux, – on lui destinait une demoiselle bien sous tous rapports, pour rejoindre une femme déshonorée. Souvent, ils font l’amour sans mots dire. Tout est suggéré, érotique. Et bien vite, la beauté se voit salopée par le caquetage des honnêtes gens, dans les plans suivants. Les dialogues sont d’une cruauté concise, concentrée. Lorsque Seisaku s’en va en guerre, on assiste à une explosion frontale de méchanceté, la jalousie entraînant le mépris des femmes et l’appel brutal de la chair chez les hommes, à l’égard de Okane.

Blessé, il revient. Banzaï, drapeaux, tout le monde s’agite pour revoir le brave. Guéri, il doit repartir au front. Mais Okane, désespérée par ce nouveau départ, prend les devants, et mutile les yeux de son amant. Affirmation de sa liberté, de la force de son être, au sein d’une société mortellement répressive, qui lorsqu’on lui ôte le masque révèle sa vraie nature handicapante. Okane casse les chaînes et déclenche une mécanique atroce, celle de l’affirmation de soi dans le Japon début de siècle. Apprentissage douloureux mais néanmoins indispensable, pour celui qu’elle aime, à qui finalement et paradoxalement, elle donne la vue, en l’aveuglant.

Un Masumura de 1965 sur les écrans, en plein mois d’août. Ca se fête ! De quoi nous dégoûter des bimbos dopées au collagène. Ici, pas de Sandra siliconée, ni de Steve refait aux anabolisants. On peut calmement se laver les yeux au cinéma de la criarde poubelle visuelle. S’enivrer au frais de beau noir et blanc et d’une actrice bien plus excitante en kimono que le ramassis en monokini.
Il est question de sexe et de guerre, d’amour et de mort, pour changer… Et bien, oui, pour changer ! C’est du joli cinéma avec une jolie histoire bien racontée, inspirée d’un roman de Genjiro Yoshida. Une histoire d’amours impures chez des répudiés et marginaux, au tournant du 20e siècle.

D’une noirceur quasi ineffable, cette fleur du mal est à observer avec délice. Espérons que ce film permettra de (re)découvrir, en France, les œuvres de cet étrange cinéaste, dont seuls deux films sont sortis en France (La Chatte japonaise et L’Ange rouge), -ovni de la Daiei : Yasuzo Masumura, cinéaste de la femme, chaînon manquant entre Kenji Mizoguchi et Shohei Imamura.

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