Interview de Philippe Picquier, directeur-fondateur des éditions Picquier

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C’est quoi un éditeur, comment fait-on vivre une maison d’édition spécialisée sur l’Asie ?
Nous sommes une petite maison d’édition mais nous essayons de nous comporter comme une grande. Une maison d’édition fonctionne par association et convergence. Le premier travail d’éditeur est de mettre en relation les personnes, de découvrir, et de tout faire en sorte pour animer, rassembler et promouvoir. Mettre en avant un livre pour qu’il trouve un destinataire, convaincre les autres, faire passer ce que l’on aime. C’est un travail de conviction envers les autres, pour donner aux autres.

Quel a été votre parcours avant la maison d’édition ?
J’étais destiné à devenir fonctionnaire (rire), j’ai fait les études pour cela : droit, science politique, lettres, et même archéologie. J’ai participé à quelques concours qui n’ont pas abouti, mais j’avais déjà un pied dans l’édition. J’y suis entré par concours de circonstance, par hasard et de fil en aiguille. J’ai eu la chance d’apprendre le métier chez de petits éditeurs. Puis j’ai démarché des maisons d’édition en ne doutant de rien. Elles m’ont dit que si je n’avais rien à apporter je ne pourrais pas travailler chez elles. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que ce qui m’intéressait, c’était la découverte d’un monde qui m’a toujours attiré, à savoir l’Asie. Découvrir à travers des voyages intellectuels, littéraires, autour d’une carte. Quand j’avais 14 ans je connaissais mieux la vie de Gengis Khan et son itinéraire en Asie centrale, que celle de César en Gaulle. J’ai toujours eu un attrait très fort, que j’ai développé ensuite, pour cet itinéraire en Asie. Ajouté à cela des lectures, et un phénomène qui s’est passé il y a 20 ans et qui ne s’est pas reproduit depuis, à savoir un soudain abandon, un désengagement des lecteurs français pour la littérature française, au profit d’une curiosité plus grande pour les littératures étrangères. C’est à cette époque que se sont lancés Rivages, Actes Sud, d’autres maisons, et au fond c’était le bon moment. Il était donc évident qu’à un moment donné, travaillant dans l’édition, passionné par l’Asie, dans un contexte qui privilégiait les littératures étrangères, je pouvais faire le pas. Je suis parti avec trois fois rien, au bout d’un an ça a marché. Tellement bien, qu’on a dû réimprimer sans cesse, et que… j’ai déposé le bilan. J’ai compris qu’il fallait que je finance. J’ai créé une nouvelle société.

Quel a été votre premier ouvrage publié ?
J’avais des amis qui se réunissaient tous les samedis à l’Université de Jussieu pour corriger leurs propres traductions, ils lisaient ce qu’ils avaient traduit et abordaient les points sur lesquels ils avaient butés, en suivant un axe chronologique. Lorsqu’ils ont fini, j’ai saisi l’opportunité d’éditer ces anthologies, en trois volumes, qui couvraient des années 1918 à 1975. C’était inespéré d’obtenir ainsi un catalogue en miniature, qui m’apprenait beaucoup, qui n’existait pas et me permettait non seulement d’éditer un livre mais aussi de créer un lectorat. Cela a bien marché mais je n’avais pas l’argent pour réimprimer. Pour régler les problèmes commerciaux, il a fallu que je trouve un partenaire, et surtout ne pas m’associer, comme je le faisais à l’époque, avec un autre éditeur qui était diffuseur distributeur. A ce moment j’ai eu de la chance, Harmonia Mundi m’a appelé et nous sommes devenus amis, ils nous ont aidés à poursuivre notre route.


Tous les livres que vous publiez sont-ils d’abord publiés dans leur pays d’origine ?
Pas tous, il y a des livres que l’on publie avant.

Les auteurs et éditeurs étrangers sont-ils attentifs à ce qu’il se passe en France ?
Ils y sont très attentifs. Etre publié en France est à la fois une reconnaissance internationale, intellectuelle, et souvent cela aide le livre dans son pays d’origine. La reconnaissance commerciale se fait aux Etats-Unis, car c’est un gros marché. Prenons l’exemple de L’école des chats de Kim Jin-kyeong qui a remporté un prix. En Corée, ils ont relancé le tirage en précisant sur la couverture qu’il avait reçu un prix en France, ils en ont vendu 100 000 de plus.

Attachez-vous de l’importance à la couverture du livre, et à sa qualité en tant qu’objet ?
La couverture doit être en résonance avec le contenu du livre. Il faut qu’il y ait concordance entre l’intérieur et l’extérieur. Valoriser l’objet avec une image. On attache de plus en plus d’importance à l’objet. Nous avions déjà cette façon de faire à nos débuts.

Demandez-vous l’avis des auteurs pour la couverture ?
La plupart du temps, ils nous laissent faire, même si parfois ils trouvent nos couvertures moches. Ils ne disent rien mais n’en pensent pas moins. C’est extrêmement difficile quand un auteur demande un droit de regard sur la couverture, cela pose toujours problème. Nous faisons des réunions chaque mardi où nous réglons les problèmes de titre. C’est souvent difficile car la traduction ne tombe pas bien, et il nous faut trouver un titre qui respecte à la fois l’idée de l’auteur et qui soit commercial. Le traducteur donne son avis et nous lui demandons souvent de faire une liste quand nous avons un problème.

Parlez nous du logo Picquier ?
Il est important. Il a été réinventé à partir d’un manga, d’un dessin de Hokusai, le Picasso japonais. Dans un de ses manga, il y avait une planche mettant en scène des bains publics, au milieu un homme en train de lire pour ne pas s’occuper de ce qui se passe autour de lui. J’ai bien aimé ce petit bonhomme. Nous l’avons retravaillé, ma sœur lui a enlevé la caisse à savon sur laquelle il était assis, et depuis c’est notre logo.

Vous vous êtes lancé dans l’édition du manga tardivement, pourquoi ?
Le manga pour ados ne m’intéresse pas vraiment, je ne suis pas de cette culture, de ce fait, je n’aurais pas su faire. Au cours d’un voyage au Japon, j’ai compris que c’était la forêt qui cachait l’arbre. J’ai trouvé des manga de qualité, très graphiques, peut-être un peu intello ou marginaux, et j’ai eu envie d’essayer. Sachant que 90% de la production manga c’est le mainstream, restait 10 %. Nous sommes positionnés sur le manga pour adultes, soit 5% du marché, voire 2% pour certains. On les vend mal.

Y a-t-il un lectorat pour cela, et pensez vous que les gens qui lisent vos ouvrages vont basculer dans le monde manga ?
Il y a un lectorat au Japon. Notre collection s’appelait à l’origine Picquier manga, mais le public d’adultes que l’on vise ne lisant pas de manga, nous avons rapidement fait machine arrière en les publiant uniquement sous le nom de Picquier. Nous allons continuer à petits pas, il y a un marché et des livres intéressants, mais j’avoue mon ignorance de ce marché très différent du monde du livre, plus proche du monde de l’image et qui touche un autre lectorat.

Que pensez-vous d’Amazon et du livre gratuit sur Internet ?
On se fait des idées sur Amazon. Picquier vend sur Amazon, personne ne peut négliger un circuit de vente. Je pense que le livre en tant que tel a encore de belles années. La culture n’est pas gratuite, elle représente énormément de travail, un travail intellectuel, un auteur et on ne peut pas négliger cela. Il y a toute une économie derrière. Il me paraît logique de payer ce que l’on écoute, ce que l’on lit. Nous avons besoin du livre.

Comment vous voyez-vous évoluer ces prochaines années ?
J’aimerais développer les collections Jeunesse, et la littérature française. Demander à des écrivains d’écrire sur l’Asie. L’Asie est un support de rêve énorme, bref quelque chose que l’on a tous plus ou moins en commun, et pourquoi pas ouvrir un département autour de cette idée de l’Asie en nous. Développer aussi un peu plus les livres de reportage et essayer de poursuivre la BD.

Pourquoi pas une collection de science fiction ?
Ca serait une piste. Mais le problème c’est qu’en ce domaine je suis vraiment mauvais lecteur. Il y a toujours beaucoup de perspectives concernant ce que l’on peut faire. Nous avançons sur différents chantiers en même temps.

Et si c’était à refaire ?
Je le referai sûrement, mais autrement. Je ne changerais pas de regard, mais j’essayerais d’aller beaucoup plus vite et avec de moyens plus importants.

N’avez-vous pas peur que l’Asie ne soit qu’un phénomène de mode ?
Non, car elle ne l’a jamais été. C’est un engouement plus durable, pas comme le phénomène Amérique du Sud qui n’a duré que trois ans. En Asie, il y a encore beaucoup à explorer, ce continent bouge sans cesse. Regardez l’Inde il y a eu un engouement qui s’est manifesté pour Bollywood, la nourriture, la danse. Ce sont des pics d’engouement qui focalisent sur des moments, mais ce n’est pas une focale unique à durée limitée, ce sont des focales qui interviennent dans des moments différents, et qui éclairent des pays en pleine évolution. La Chine d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a trois ou quatre ans, encore moins celle d’il y a trente ans. Nous allons éditer un livre sur le sujet.
L’Asie est ancrée, et elle imprègne de plus en plus notre quotidien.

Remerciements à Vincent Demulière et à l’équipe de la librairie Privat Flammarion de Lyon

Retranscription : Christophe Lepron
Photos : Martine Furnion
Lyon (juin 2007)

Pays : France

Fabrice Docher, Martine Furnion, & Jean-Pierre Gimenez

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