Exilé de Johnnie To

Chroniques tous | ciné | défaut

Alors que, après plusieurs années de cavale, Wo s’est installé à Macao avec sa femme et leur bébé, il reçoit la visite de ses quatre anciens partenaires. Deux d’entre eux sont chargés de l’abattre tandis que les deux autres sont venus le protéger. Déchirés entre sens de l’amitié et du devoir, les cinq amis arrivent à un compromis : avant que Wo ne soit placé face à son sort, ils réaliseront ensemble un gros coup afin de mettre sa femme et son fils à l’abri du besoin.

“Exilé” est une fausse suite de “The Mission” du même Johnnie To. Fausse, car s’il reprend des personnages quasi identiques ayant vécu des situations quasi identiques, et joués par les mêmes acteurs, il ne s’agit pas pour autant des mêmes personnages (ils ne portent pas les mêmes noms et n’ont pas les mêmes caractères). L’écho avec “The Mission” est cependant flagrant : une mission soude l’amitié entre les héros, avant que ceux-ci ne s’opposent autour du sort de l’un des leurs dans le premier, des amis opposés puis une aventure commune dans le second. Ainsi, complice du spectateur, To renvoie constamment aux situations de “The Mission”, mais en développe également les thèmes et les personnages, allant même, ceux-ci n’étant pas exactement les mêmes, jusqu’à créer une réalité alternative de son film antérieur.
“Exilé” débute par l’arrivée des anciens partenaires, par groupe de deux au domicile de Wo. Celui-ci absent, ils l’attendent dans le square tout proche, soudain arrive Wo en camion, tandis qu’un policier observe la scène à distance. Espaces ouverts, alternance de plans larges sur l’action et de plans rapprochés sur les personnages, caméra mobile et volontairement lente, cette ouverture porte indéniablement la marque des derniers films de Johnnie To, qui n’est jamais aussi doué que pour les scènes intégrant dans un même espace de nombreux personnages en interaction. Sa force est de permettre au spectateur d’embrasser toute la scène d’un seul regard, conscient des enjeux entre ces différents personnages, créant ainsi une tension palpable.
Suite à cette entrée en matière, et pendant la première demi-heure, le spectateur pense qu’il va assister à un film de Johnnie To on ne peut plus classique, avec les qualités et les points faibles propres au réalisateur. D’un côté, des scènes époustouflantes, des trouvailles visuelles et des tours de force technique. Côté points faibles (bien moins important il est vrai, le bonhomme étant quand même un des meilleurs réalisateurs hongkongais actuel) : un scénario parfois très basique, plus prétexte aux dites prouesses visuelles, et aux poses et situations ultra viriles et héroïques, flirtant parfois avec le ridicule, comme dans “PTU”, film symptomatique de ces points faibles, même si ses qualités esthétiques le rendent agréable.

Après une demi-heure, le film va prendre une direction surprenante. To quitte le genre du polar urbain tendu pour faire d’ “Exilé” un western déguisé, plus léger. Le film rend hommage au genre, en en reprenant les éléments les plus célèbres : les renégats en fuite devant leur ancien patron, l’errance dans le désert, les confessions au coin du feu, l’attaque de la diligence, et une formidable scène finale dans un décor très mexicain. Le scénario rappelle quant à lui immanquablement “La horde sauvage”. Comme dans le chef-d’œuvre de Peckinpah, le groupe de héros fait face à un destin scellé d’avance, et c’est pourquoi le réalisateur va nous les montrer particulièrement humains, voire parfois impuissants. On sait que Johnnie To se plaît à désacraliser ses personnages, en les montrant dans des situations inattendues pour des gangsters (le coup des cigarettes explosives ou les gardes du corps jouant avec une boule de papier dans “The Mission”). Cette fois, c’est en les plaçant dans des situations carrément banales que To finit de briser leur image pour nous les dévoiler non comme des icônes, mais comme des êtres humains : ils font un déménagement, ils cuisinent, s’amusent comme des enfants (s’adonnant à la fameuse pratique de la “mise à l’air” bien connue des initiés). Surtout, il nous les montre désemparés, ne sachant pas ce qu’ils doivent faire (la ligne de dialogue “que fait on ? ” “je ne sais pas” revient à plusieurs reprises), s’en remettant alors à la pratique du pile ou face.
L’inéluctabilité du destin des personnages est aussi la raison pour laquelle la partie western est plus légère : comme si, se sachant condamnés, libérés d’un poids, les protagonistes décident de profiter du temps qui leur reste et de se laisser aller. Comme s’ils tentaient de la sorte d’atténuer la tension et d’éloigner l’idée de la fin, sans jamais y parvenir. Ainsi, ce baroud d’honneur, cette course contre l’inévitable, est l’occasion d’exceptionnelles relations humaines, à la fois intenses et tout en retenue, souvent drôles et émouvantes, qui donnent au spectateur l’impression d’être au milieu du groupe de copains.

Cette façon inattendue de montrer le gangster, figure emblématique du cinéma de Hong Kong, et de celui de Johnnie To, est-elle également un moyen de prendre de la distance par rapport au genre, de le brocarder gentiment et respectueusement ? Seul le réalisateur pourrait répondre à cette question, mais on peut le penser, d’autant qu’il s’amuse à jouer sur un certain nombre de clichés. On sait que les “poses” à la gros dur sont une marque de fabrique du cinéma de Hong Kong et que, comme on l’a dit, To en est friand. Or dans ce domaine, on est ici servi, par des attitudes parfois tellement outrancières qu’elles en deviennent suspectes (voir la scène avec le contact pour un “coup”, où l’on atteint des sommets dans le genre “clope au bec et regard noir”). L’usage de la canette dans la dernière scène, même s’il est chargé d’une symbolique très forte, pourra également surprendre le spectateur. Cette façon de tourner en dérision certains clichés du tueur monolithique est même parfois encore plus évidente, par exemple lorsque “le gros”, dont l’alter ego dans “The Mission” était le plus taciturne, a droit au regard amusé de ses comparses alors que, prêt à l’action, il enlève doucement la sécurité de son arme dans le plus pur style HK.

Enfin, on ne pourrait évoquer un film de Johnnie To sans évoquer ses tours de force visuels. Au menu cette fois, outre la scène d’ouverture, un face à face entre les héros et leurs poursuivants, alors que chaque groupe est venu, à quelques minutes d’intervalles, faire appel au même chirurgien clandestin, et un gunfight dans un escalier extérieur, filmé en plan large et en traveling vertical.

“Exilé” nous offre un Johnnie To au meilleur de sa forme, qui à son spectaculaire sens de la réalisation ajoute une magnifique histoire, un hommage brillant et des situations inattendues, pour un film riche, élégant et intelligent. Alors que les films du réalisateur sont parfois inégaux, son talent s’exprime ici sur l’ensemble du métrage, et pas seulement au cours des scènes d’action, et donne un film qui ravira les fans du cinéma de HK, mais aussi tout simplement les fans de cinéma.

Benjamin Leroy
Août 2007

Date de sortie française : 11/07/2007

Acteurs : Simon Yam, Anthony Wong, Francis Ng, Nick Cheung, Josie Ho, Roy Cheung, Lam Suet Lam

Pays : Hong-Kong

Évènements à venir