Pour ceux qui ne connaissent par encore Nauriel, jeune illustratrice lyonnaise qui publie actuellement son tout premier album BD aux éditions Dargaud, dans la collection Cosmo, nous l’avons rencontrée pour vous autour d’un café, petit instant privilégié.
Nauriel anime un atelier de bande dessinée dans un collège en plus de son important travail pour Nanami. Vous avez peut-être lu “Mensonges et autres racontars”, sa première oeuvre publiée dans le cadre d’un projet de l’école de dessin Emile Cohl en partenariat avec l’hôpital du Vinatier. Malgré un emploi du temps chargé, elle prend le temps de faire du théâtre ce qui “l’aide à aborder les personnages et leur psychologie”.
D’ailleurs, sa bd Nanami nous plonge dans l’univers fantastique d’une jeune fille qui découvre un monde mystérieux en intégrant une troupe de théâtre.
1. Comment es-tu venue à la bande dessinée ?
Comme beaucoup d’illustrateurs, cette passion du dessin, je la tiens depuis l’enfance. C’est au collège que j’ai commencé à songer à en faire mon métier. J’ai donc suivi cette voie, mais ce qui fut décisif dans mon choix de faire de l’illustration et de la BD particulièrement, ce fut la rencontre avec des professionnels auteurs illustrateurs. La passion qu’ils mettent dans leur métier a confirmé la mienne…
2. Quel a été ton cursus ? As-tu suivi des cours de dessin ?
Jusqu’à la fin de ma terminale, j’ai suivi un cursus scolaire traditionnel, soldé par un bac littéraire option Arts plastiques. Ensuite je suis entrée à l’école Emile Cohl à Lyon, qui prépare aux métiers de “l’image de communication” (BD, illustration, animation, …). J’ai reçu un enseignement classique de dessin, de peinture et de graphisme agrémenté de cours d’illustrations, de BD, et d’animation sous la direction de professionnels.
Quatre années plus tard, j’étais diplômée en BD illustration et prête à entrer dans la vie professionnelle.
3. Comment est né Nanami ?
D’une association de plusieurs personnes : deux scénaristes, une dessinatrice principale, un assistant des décors et un coloriste.
Tout d’abord une naissance sous la plume d’Eric Corbeyran et Amélie Sarn, puis graphiquement par mon crayon.
Ce fut énormément de croquis, de gribouillages pour “apprivoiser mes personnages”, certains plus difficiles que d’autres, notamment à cause de leur forte personnalité : je pense particulièrement à Cloé, un personnage très volubile, dynamique, et, parce qu’elle est très expressive, elle fut assez difficile à capturer graphiquement !!
Ce qui me plaît aussi dans la réalisation de la BD, c’est le story-board : c’est vraiment le moment où la BD passe de l’écrit (le script d’Amélie et Eric) à la partie visuelle, où l’histoire commence à prendre vie. Je cherche les angles de vue, les décors, les expressions… c’est un exercice ardu et plus c’est difficile, plus j’adore ça !
Ensuite à partir du story-board, je confie la réalisation des décors à Benjamin, mon camarade assistant.
Une fois les personnages réalisés, je les assemble aux décors en rajoutant le lettrage. Puis c’est au tour de Simon de donner vie aux planches par le biais de la couleur…
L’important de cette grande association réside dans l’entente que nous avons les uns avec les autres, je dirais même l’amitié et la confiance mutuelle. Le reste est dû à l’éditeur Dargaud.
4. L’histoire nous montre une jeune fille étourdie et mauvaise élève, est-ce autobiographique ?
Ce serait fantastique si j’avais la possibilité de m’évader physiquement dans un autre monde dans lequel je serais la reine (qui n’en a jamais rêvé ?!!) mais cela, je ne le fais que graphiquement ou dans mon imaginaire. En matière d’autobiographie, je ressemble à Nanami pour son étourderie et ses rêveries. D’un point de vue scolaire, je ne lui ressemble pas du tout : j’étais une élève moyenne avec des hauts et des bas mais qui heureusement, n’a jamais été menacée de pension !!!
Je fais du théâtre en amateur mais toujours pas de royaume fantastique à l’horizon, ni de metteur en scène aveugle (rires).
Physiquement, je lui ai donné ainsi qu’à Cloé certaines de mes mimiques (toujours mon côté théâtral diront des personnes de mon entourage) et certaines de ses réactions me rappellent la petite ado timide que j’étais il n’y a pas si longtemps. Autre détail : Moïra est une authentique réplique physique (enfin presque) et morale de mon chat. (rires)
On dit qu’un dessinateur se dessine toujours un peu à travers son personnage, alors je pense qu’on doit me retrouver un peu en Nanami, mais aussi en chacun des autres personnages… J’ai besoin de “jouer” le personnage pour comprendre sa psychologie et ce qui est facile avec Nanami, c’est que je la comprends très bien. Ça vient peut-être du fait que j’ai été une adolescente dans son genre avec, bien entendu ses problèmes d’ado, ses doutes, ses rêves… Je pense qu’on peut facilement s’identifier à Nanami, à Cloé ou aux Black Rose car en chacun de nous réside l’ado que nous sommes ou avons été.
5. Les Black Rose, groupe de jeunes “voyous”, sont vraiment charismatiques, ont-ils été inspirés de personnages réels ?
Tout à fait, comme la plupart des personnages de la BD, mais l’inspiration est plus d’ordre moral, beaucoup plus une question de personnalités qu’une inspiration physique… Pour les Black Rose, je me suis inspirée de personnes que j’ai côtoyées au collège et au lycée, des personnalités qui m’ont marquée à cette période mais cela a surtout servi comme point de départ. Les Black Rose ont chacun leur personnalité propre qui se développera tout au long de l’histoire mais je suis ravie que leur charisme opère déjà : la plus jeune fan des Black Rose est une petite fille de 5 ans !! Dingue, non ?!!
D’un point de vue physique, j’ai beaucoup observé les jeunes autour de moi, des personnes croisées au coin d’une rue, dans le métro, voire carrément en festivals de japanimation où les looks m’ont inspirée.
Pour la petite histoire, le graphisme de Djemilla, la “chef” de bande a été réalisé bien avant que je ne travaille sur le projet de Nanami. Elle était le personnage principal d’un projet de BD pour mon diplôme à Cohl (avorté en cours d’année).
Dans cette version, Djemilla avait deux mèches rouges et avait exactement le même caractère que dans Nanami. Eric Corbeyran a tout de suite accroché à son graphisme et il est étonnant de penser que j’avais déjà le personnage de Djemilla avant celui de l’héroïne.
6. Les costumes lorsque Nanami combat ont un petit arrière goût de Star Wars… est-ce une fausse idée ?
Absolument pas. J’ai été fascinée par les costumes de Star Wars et en particulier ceux d’Amidala/Padmé. D’ailleurs la personnalité de la princesse Akata est proche de celle de Padmé/Amidala.
Mais je me suis rendu compte que les designers de costume s’étaient inspirés de costumes traditionnels de différentes ethnies (mongols, amérindiens, africains…).J’ai donc suivi le même chemin en mélangeant un peu. Mais il n’y a pas qu’une influence Star Wars, il y a aussi une influence art nouveau, notamment dans les bijoux, les illustrations du livre, voire le mobilier du palais d’Akata (à voir aussi dans le tome 2 et la suite…). Je me suis aussi inspirée de la mode des siècles passés, j’ai actuellement une réserve de futurs costumes pour Akata, selon l’action… Pour rappeler un peu l’histoire d’Akata et expliquer la signification de cette première tenue en ce début de série, elle vient de perdre son père et se voit bientôt devenir reine du Royaume. On la voit pour la première fois en robe d’apparat (un caraco avec de longues manches, une multitude de dessous, refermée par une robe bustier en armature mais très contraignante, dans laquelle Akata/Nanami est un peu prisonnière) bref pas très pratique pour croiser le fer avec les ninjas.
Le seul signe distinctif du deuil est le maquillage des yeux (un petit clin d’œil au maquillage d’Amidala, épisode 1). Je suis ravie que les amateurs de Star Wars l’aient remarqué.
7. As-tu été influencée par d’autres auteurs ?
Bien entendu, particulièrement des auteurs européens à qui je voue une grande admiration et espère connaître une carrière aussi riche graphiquement qu’eux.
La liste est longue et elle va de Wendling à Barbucci en passant par Loisel, Frezzato et plein d’autres.
Du côté comics, Frank Miller, Mignola et Bachalo sont mes références mais ma culture comics est encore à faire…
D’un point de vue asiatique, j’ai une préférence pour les illustrateurs tels que Tae Kim : je suis impressionnée par son travail, ou l’œuvre de Miyazaki grâce à laquelle j’ai truffé la chambre de Nanami de peluches et réveil Totoro (oui, j’adore Totoro !!)
Au niveau du manga, j’ai plutôt utilisé certains codes et mise en page de planches plus qu’une réelle influence graphique d’auteur.
Pour en terminer avec mes influences, je rajouterai les peintres classiques qui font partie aussi de mon patrimoine graphique, notamment des courants artistiques qui ont pu donner une identité au monde parallèle de Nanami tels que l’Art Nouveau, les préraphaélites, le style rococo, …
Etant une toute jeune illustratrice, je suis encore pas mal influencée par mes pairs et mon trait s’en ressent. Avec le temps, l’expérience, la persévérance dans ma recherche graphique et la maturité, j’espère m’en libérer pour arriver à mon propre style… Vaste programme !!!
8. Comment t’a été offerte l’opportunité de publier ?
Ma rencontre avec Eric Corbeyran en est le point de départ. Je l’ai rencontré à l’occasion du festival de BD de Chambéry en octobre 2003, auquel Green Elven, association fanzine dans laquelle je participais depuis deux ans avait un stand et c’est comme ça que j’ai été découverte. Pas mal pour mon premier festival BD européen en tant que fanzineuse (et aussi le premier festival BD de Green Elven).
Ensuite ont suivi trois mois de recherches graphiques et de stress diabolique pour monter un dossier à présenter aux dirigeants de Dargaud au festival d’Angoulême de 2004.
J’étais très stressée mais j’ai rencontré des gens tout à fait sympathiques qui ont accroché à mon graphisme et m’ont fait confiance.
9. Aurais–tu quelques conseils à donner à ceux qui comme toi veulent se lancer dans la bd ?
Pas de secret : du travail et de la persévérance… Il faut savoir aussi se remettre en question et ne pas se reposer sur ses acquis : essayer toujours d’aller plus loin et savoir se “mettre en danger” graphiquement. Accepter les critiques constructives et les échecs pour mieux repartir. Aller à la rencontre d’auteurs pour avoir des avis, les questionner sur leur parcours professionnel : c’est très instructif …
Illustrateur n’est pas un métier facile mais il y a de la place pour toute personne qui s’en donne les moyens. Pour ma part, j’ai eu énormément de chance et je la dois à des rencontres importantes et enrichissantes.
10. Une dernière petite phrase pour la postérité ?
Oulahlah ! Il s’agit de ne pas se louper si c’est pour la postérité !! (rires)
Je ne suis pas douée pour les grands mots alors je reprendrais juste une devise que j’ai lue quelque part : “tout ce qui ne se fait pas ne devait pas se faire et tout ce qui se fait est pour le mieux”.
Juin 2006
NANAMI, Le théâtre du vent, T1 / Sarn, Amélie & Nauriel, Dargaud, 80 p, 11,88 euros.
Pays : France