Réalisateur d’un des trois plus gros succès de l’année 2005 en Corée CHUNG Yoon-chul (ou Jung Yoon-chul selon les transcriptions) nous livre les grandes lignes d’un parcours digne d’un marathonien.
INTRODUCTION
1.) Comment et pourquoi êtes-vous devenu réalisateur ?
Jusqu’au lycée, je souhaitais devenir scientifique. La science révèle les mystères de l’univers. Mais je me suis rendu compte que j’étais en fait d’avantage intéressé par les mystères de la société humaine. La société et les relations humaines ne sont jamais moins compliquées que le monde physique. J’ai donc décidé de devenir cinéaste pour révéler le mystère de l’humanité tout comme les scientifiques qui tentent de révéler le mystère du cosmos.
J’ai fait mes études dans une école de cinéma à Séoul puis à AFTRS (Australian film television and radio school) à Sydney.
J’ai réalisé quelques courts métrages et ensuite débuté Marathon en 2003. En janvier 2005, Marathon est enfin sorti en Corée.
MARATHON
2.) Après trois courts métrages (“Attachment”, “Birthday” et “Hibernation” en compétition au festival du court métrage de Clermont-Ferrand), comment avez-vous décidé d’adapter l’histoire vraie de BAE Hyung-jin (Cho-won dans le film) et comment avez-vous réussi à réunir les fonds nécessaires pour un sujet aussi difficile ?
Les courts que j’ai réalisés sont particulièrement uniques et plutôt personnels. Pour mon premier film, je voulais un thème universel et unique à la fois. L’histoire de M. Bae est unique à cause de son autisme, mais aussi universelle et accessible : c’est l’histoire d’une mère et de son enfant, et, du passage à l’âge adulte. J’étais certain que ce serait émouvant pour tous. J’étais tout aussi convaincu que si j’insérais efficacement de la fantaisie, ce serait d’autant plus impressionnant et touchant (comme, par exemple, dans la séquence du marathon à la fin).
Cependant, comme vous l’avez mentionné, ce film n’était pas un bon choix pour obtenir un budget. L’autisme n’a jamais été un thème commercial au cinéma. Cependant le film ne traite pas uniquement d’autisme mais aussi de relations humaines.
Premièrement, le script de Marathon a eu beaucoup de succès. Il a été écrit par trois auteurs dont moi-même et nous avons passé le plus de temps possible (environ une année et demie) avec M. Bae et sa famille. Nous avons ainsi récolté des informations, et même tourné un documentaire sur lui et sa mère. Au final, ces efforts ont rendu le script très réaliste et passionnant. Voilà je pense la raison principale pour laquelle nous avons obtenu un gros budget de la part de l’investisseur.
3.) Comment expliquez vous le succès de votre film dans votre pays et à l’étranger ?
Nous sommes tous les mêmes quelles que soient nos différences, tel est le message de Marathon. Le thème est universel.
4.) Les docteurs étant toujours incapables de définir cette pathologie, l’autisme est un sujet très délicat, comment avez-vous appris davantage sur le sujet ?
Notre société moderne est régie par la communication entre les gens. Mais est-il possible de faire réellement communiquer deux personnes entièrement différentes ? Qu’en est-il pour deux personnes intimement liées comme une mère et son enfant ?
L’autisme est une incapacité à communiquer, il est donc très difficile pour les autistes d’établir une connexion avec l’un de nous. Si on y arrive, alors on facilite la communication avec la société toute entière. Je veux montrer l’importance de la vraie communication entre êtres humains.
L’apprentissage particulier de ce travail est que nous sommes parfois plus autistes que les autistes. Nous mentons pour cacher nos émotions et pensons que c’est ainsi que nous survivrons. La communication dans la société moderne semble se réduire à bien savoir porter un masque. Mais les autistes n’apprennent jamais à mentir ou à cacher leurs émotions. Ce sont des personnes plus ouvertes que nous. Et nous, à l’opposé, nous sommes fermés.
5.) Quelles parties de votre film sont totalement fictives et quels faits reflètent directement la vie de Bae Hyung-jin ?
Le coach principalement, est un personnage fictif. Je l’ai créé surtout autour de mon expérience (comme je vous l’ai dit, j’ai passé tellement de temps avec M. Bae que c’était comme si j’avais couru la course à ses côtés).
Environ la moitié du film s’inspire de faits réels, je ne me suis pas imposé de devoir respecter rigoureusement l’histoire originale. Cependant l’essence reste identique à l’original.
6.) Comment avez-vous préparé l’acteur principal Cho Seung-woo à interpréter ce rôle ?
C’est un acteur fascinant, sa performance est magnifique. Mais au commencement, ce n’était pas aisé pour lui d’agir comme un autiste.
Je lui ai donc demandé de se mettre dans la peau d’un enfant. De ne pas trop réfléchir, de ne pas trop analyser le personnage. Je lui ai dit : “tu n’es mentalement qu’un enfant de cinq ans, alors fais le ! ”
Son jeu est devenu plus naturel. Il m’a dit que c’était la première fois depuis le début de sa carrière qu’il sentait un tel naturel en interprétant un rôle.
Tant mieux pour lui. Tant mieux pour Cho-won.
7.) Votre film ne traite pas seulement du point de vue général sur l’autisme et de l’incompréhension des gens mais porte aussi beaucoup sur la relation mère-enfant.
Oui, toutes les mères doivent laisser leurs enfants partir un jour, même si ce n’est pas facile. Elles s’attachent à leurs fils et filles adultes et essaient parfois de les contrôler. Ce n’est pas l’ordre naturel des choses. Je veux leur dire qu’il faut croire en son enfant. L’amour, ce n’est pas de le garder dans ses bras mais de le mener là où il veut aller. Alors tout le monde est plus heureux.
8.) Comment avez-vous convaincu l’actrice principale Kim Mi-suk d’interpréter un rôle pour le grand écran après 23 années passées à la télévision ?
Je désirais un nouveau visage plutôt qu’une actrice connue. Mme Kim était intéressée car elle n’avait pas tourné dans un film depuis très longtemps. Elle a l’air calme, mais peut parfois avoir un jeu très compliqué et subtil.
Elle a aussi un garçon de 5 ans (l’âge mental de Cho-won), j’ai pensé que cela pouvait aider le film, et à mon avis ça a marché.
9.) Comment avez-vous réussi à achever votre film en seulement trois mois ?
Seulement pour le tournage. Le script a pris 18 mois d’écriture, et il a fallu 8 mois supplémentaires pour la production.
10.) Comment avez-vous organisé les impressionnantes scènes de marathon ?
Pour ressentir les sensations des coureurs, j’ai couru le marathon (10 km) plusieurs fois. J’ai couru une course complète, la même que celle de la séquence finale du film, et j’ai failli mourir (rires), mais ce fut une expérience très précieuse. Je me suis fait arroser par jets d’eau placés au bord de la route, ça ressemble beaucoup à de la pluie, j’ai fini par intégrer cette scène au film et en ai fait le point culminant. Je suis content d’avoir connu les joies de la course, je peux comprendre que Cho-won veut courir parce que ça le rend heureux. Comme moi !
11.) Comment expliquez vous le fait que les nouveaux cinéastes coréens osent traiter de sujets tabous comme les pathologies mentales (“Oasis”, “Marathon”, “You are my sunshine”) ?
La Corée s’est développée très rapidement après les années 70. Aujourd’hui ça a l’air d’aller mais il est vrai que la société coréenne n’a jamais été très intéressée par l’égalité des individus.
Je pense que cette tendance traduit le désir des nouveaux réalisateurs à changer l’état d’esprit des gens qui ne pensent qu’au développement et à la rapidité.
AVENIR
12.) Vous avez déjà complété un segment d’un film omnibus à venir et vous êtes également attaché à un remake du film hongkongais “A better tomorrow”, avec Louis Koo reprenant le rôle de Chow Yun Fat. Pourriez-vous nous en révéler davantage sur ce projet ?
L’information concernant Hong Kong est fausse, désolé ! (si seulement)
Mon prochain film sera sur la famille, mais sera différent de Marathon. Tous les membres de la famille seront très cyniques avec leurs propres secrets. Ce sera un peu semblable au dessin animé “les Simpson” mais en plus chaleureux. Le tournage devrait débuter en juin.
avril 2006
Interview réalisée par Bastian Meiresonne et traduite par Thomas Petithuguenin
Pays : Corée du Sud