Si les occidentaux connaissent le nom de ninja, celui de shinobi ne l’est que de quelques spécialistes en ninjalogie. Pourtant, ces deux termes recouvrent le même concept de combattant ou peu s’en faut. En effet, le premier appartient à la mythologie moderne du Robin des bois japonais alors que le second met au jour en Occident un mercenaire apparu dès le XIVe siècle. Loin du samouraï traditionnel, ces shinobi no mono, « ceux qui se cachent, qui agissent dans l’ombre » ont pour fonction principale : l’espionnage. Ils s’infiltrent dans les châteaux adverses de la façon la plus anonyme possible. Une fois à l’intérieur, ils collectent des informations sur les points faibles des ennemis de ceux qui les engagent. Ainsi documentés, ils s’en retournent faire leur rapport pour que les guerriers passent à l’attaque.
Bien que sachant se battre, ils évitent le plus possible tout contact physique. Ils se ménagent toujours une porte de sortie en terrain ennemi.
C’est ce que nous confirme Pierre-François Souyri (1) dans son dernier ouvrage, Histoire des ninjas. Il y retrace l’historique de ces individus, souvent confondus avec des voleurs ou même des assassins. Alors que très souvent, ils sont employés par des dignitaires de l’Empire jusqu’au plus haut de la hiérarchie shogunale. Ils apparaissent principalement dans les provinces de l’Iga et de Kôga à la suite des nombreuses péripéties du Moyen-Âge guerrier nippon.
Ces deux petites républiques sont enclavées dans le centre du Japon. Donc facilement défendables et susceptibles d’occasionner de nombreuses embuscades à un adversaire pas toujours à l’aise dans ces milieux escarpés. Les shinobi combattent donc de façon détournée. Ce qui leur vaut un mépris non dissimulé de la part de la classe des guerriers.
Malgré le peu de traces écrites, nous découvrons leur véritable parcours grâce à l’opiniâtreté de l’auteur qui se fait un point d’honneur de nous les présenter au plus juste de ce qu’ils furent.
Avec la Pax Tokugawa, leur service se trouve réduit à un rôle de garde du corps peu reconnu. C’est pendant le XVIIe siècle qu’ils disparaissent. Mais avant cela, quelques auteurs se revendiquant des clans shinobi écriront des traités pour essayer de se faire reconnaître comme guerrier par le shogunat. Sans succès.
Grâce à trois ouvrages principaux (le bansenshûkaî, le shôninki et le ninpiden) on apprend par quels procédés ils s’infiltrent dans les places fortes adverses. Quel matériel ils utilisent ou leur façon de se fondre dans la foule ainsi que l’ensemble des exercices physiques auxquels les prétendants shinobi se soumettent pour adhérer au clan.
Voilà pour la réalité, mais par l’intermédiaire du théâtre kabuki, les shinobi perdurent pendant longtemps dans des rôles de méchant. Cependant, au tournant du XXe siècle, un basculement complet de leur personnalité en fait des héros tels que nous les connaissons désormais. Ils défendent la veuve et l’orphelin grâce surtout à la littérature. Ils prennent alors le nom de ninja.
Un ouvrage érudit et plaisant à lire. Il s’efforce de cerner au plus près la réalité historique. Toutefois, il considère avec bienveillance la place mythologique que ces guerriers occupent dans l’imaginaire collectif des mangas et autres productions de divertissement.
Notons la sortie, chez le même éditeur de la biographie politique Deng Xiaoping de Jean-Pierre Cabestan. (2)
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique de son précédent livre : https://asiexpo.fr/le-japon-ancien-des-chasseurs-cueilleurs-a-heian-de-laurent-nespoulos-et-pierre-francois-souyri-parait-chez-belin/
(2) Deng Xiaoping Révolutionnaire et modernisateur de la Chine, 416 pages, 22.90€. En librairie le 14 11 2024.
Histoire de Ninjas Hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs de Pierre-François Souyri, 288 pages, 20,90€, éd. Tallandier. En librairie depuis le 15 09 2024.