Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Yakuwa Shinnosuke, je suis réalisateur et je travaille au studio Shin’ei Animation.
Quel est votre parcours ? Avez-vous toujours voulu faire de l’animation ?
Je suis un amateur de cinéma, je travaillais dans le cinéma live, je ne connaissais rien à l’animation. Lorsque j’ai arrêté de travailler dans le cinéma live, je suis tombé sur une annonce pour un studio d’animation et je me suis demandé si je pouvais travailler dans cette branche. J’ai regardé ce qu’ils avaient réalisé et parmi les titres, il y avait les films de Keiichi Hara qui a travaillé notamment sur Crayon Shin Chan. J’ai toujours été fasciné par sa description très précise de la psychologie humaine ; cela m’a motivé à rejoindre ce studio.
Vous avez travaillé sur Crayon Shin Chan mais surtout principalement sur Doraemon depuis 2005 : travaillez-vous toujours sur la série ?
J’ai commencé comme réalisateur d’épisodes sur la série Doraemon pendant 3 / 4 ans avant de devenir réalisateur sur les longs métrages. J’ai eu ensuite l’occasion de revenir sur la série en tant que réalisateur principal pour un temps assez court, un an, entre 2 projets de longs métrages.
Concernant le fait de passer de la série au long métrage, est-ce un choix de votre part ou une proposition que l’on vous a faite ?
Au début, le fait de travailler sur la série venait d’une demande de la société qui gère les droits du manga, Fujiko Production. Pour les longs métrages c’est un producteur du studio d’animation qui me l’a proposé. Comme les longs métrages m’intéressaient, j’étais prêt à le faire même s’il s’agissait d’une forme d’intérim et qu’il aurait trouvé un autre réalisateur pour le film suivant. Lorsque je suis revenu sur la série en tant que réalisateur j’ai posé la condition de pouvoir refaire un long métrage car à l’époque j’avais déjà le projet de faire Totto-chan. Ils ont accepté ma condition.
Pour Doraemon, entre la série et les films, à part la longueur est ce que vous sentez une différence ?
La principale différence entre la série et les longs métrages en tant que réalisateur, ce sont les équipes d’animateurs qui ne sont pas les mêmes. Les films ont un budget plus important que les séries : on peut travailler avec des animateurs plus précis, on peut avoir des acting plus détaillés là où sur la tv il faut aller beaucoup plus vite. En tant que réalisateur on s’adapte à un niveau d’expression selon que l’on soit sur un épisode tv ou sur un long métrage. En termes d’ambition, il y a des choses que l’on ne peut pas viser dans la série. Moi j’aime bien me concentrer sur une chose ; je pense que vu mon caractère je suis plus tourné vers le long métrage là où sur une série tv vous devez passer beaucoup de temps à vérifier les storyboards des metteurs en scène d’épisodes. Vous contrôlez le travail des autres et vous avez moins de temps pour vos propres storyboards ; c’est pour cela que j’ai moins d’affinités pour les séries tv que pour les longs métrages.
Vous ne dites que Totto-chan était un projet que vous aviez en tête depuis longtemps : pourquoi avoir choisi cette oeuvre ?
J’ai commencé à réfléchir au projet d’adapter Totto-chan en 2016. A l’époque l’actualité était très marquée par la guerre en Syrie et on voyait au quotidien les enfants victimes des combats. Pour un sujet plus local c’est cette année que s’était produit cette attaque criminelle dans un centre de personnes handicapes. Ces évènements m’ont fait me poser des questions sur le type de société dans laquelle je veux vivre. Je voulais contribuer à une société ou mes propres enfants pourraient vivre sereinement. J’ai commencé à chercher des récits adaptés à cet état d’esprit. Doraemon est une licence qui parle de l‘enfance mais je voulais adapter un récit qui ne soit pas de la fantasy et moins inscrit dans un esprit héroïque avec un héros extraordinaire qui vit des aventures improbables. Je voulais décrire des personnes ordinaires confrontés à la réalité ; c’est pour cela que ce texte qui est à la fois se déroule lors de la 2nde guerre mondiale et met en scène des personnes handicapes m’a semblé le plus intéressant à traiter. J’ai pensé que si je parvenais à en faire un film, cela pourrait contribuer à rendre la société plus généreuse.
Totto est une autobiographie de Tetsuko Kuroyanagi ; l’avez-vous rencontré ? Quel a été votre collaboration avec elle ?
J’ai rédigé ce projet et je suis allé la voir. Elle a été attentive aux aspects que j’ai mis en avant dans cette note d’intention : le caractère si précieux de la paix et de lutter contre les préjugés envers les personnes handicapées. Elle m’a alors dit d’écrire un scénario et de revenir avec. On a effectué ce travail et on lui a présenté les différentes moutures du scenario. A chaque fois que l’on lui a soumis une version, elle nous a donné des éléments qui n’était pas des corrections ou des demandes de rectification mais des infos supplémentaires (pour ce passage-là dans ma vie cela s’est passé comme cela, etc.). Elle nous donnait de nouveaux éléments qui nous permettait d’enrichir le scenario ; on peut donc dire que nous l’avons écrit ensemble. Lorsque l’on a avancé dans la conception graphique des personnages, on les lui a soumis et elle était très attentive à l’apparence de Totto-chan, de ses parents, de Yasuke et de M. Kobayashii, le directeur de l’école. Pour elle c’était quelque chose qu’il était important de pouvoir visualiser. Par ailleurs c’est une dame qui a un sens vestimentaire très acéré, qui est très au fait de la mode également ; elle nous a donné des éléments pour la conception graphique des vêtements.
Cela fut donc une aide très précieuse.
La voix de la commentatrice au début et à la fin, est-ce bien Mme Kuroyanagi?
Oui c’est bien elle. On ne lui avait pas fait de demande officielle de prêter sa voix mais dans le scenario j’avais écrit « narration : Mme Kuroyanagi » et on lui a donné. On n’a pas eu de retour spécialement là-dessus mais cela s’est fait comme cela, on a tenté le coup et cela a marché.
Par rapport aux messages que vous vouliez faire passer dans le film, qui est très riche en émotion, qu’est ce qui était pour vous le plus important à mettre en avant ?
S’il y a un mot clé à mettre en avant dans le film c’est le mot japonais « omoyari », la capacité d’empathie de se mettre à la place de l’autre, d’imaginer ce que ressent l’autre. Et ces 2 personnages, Totto-chan qui on dirait aujourd’hui souffre de troubles du développement et Yasuke qui souffre de la polio, arrivent à se rencontrer, à faire connaissance, à partager une amitié qui leur permet de faire face aux difficultés et à grandir ensemble. Je crois que c’est ce qui compte le plus. Il y a plein de problèmes qui sont en jeu dans la société d’aujourd’hui, comme la place faites aux personnes en situation d’handicap, la réalité de la guerre en tant que telle, l’éducation ou les rapports entre parents et enfants par-delà les différences de position les uns et les autres. Tous ces problèmes divers et variés que l’on penserait sans rapport entre eux à première vue, il me semble possible d’envisager leurs résolutions si on est capable d’empathie envers autrui.
Ce film est une œuvre personnelle qui vous tenait à cœur et cela a dû une grande expérience pour vous : pensez-vous réaliser d’autre titre du même style, pas des commandes ?
Je n’ai pas d’idée arrêtée sur ce point. Je ne suis pas dans l’optique de dire « je dois réaliser une idée qui vienne de moi pour travailler sur mon prochain projet », tout simplement parce ce que la quantité de livres que je peux lire dans un temps donné reste limité. Donc ce n’est pas parce que l’idée viendrait de quelque d’autre que je ne voudrais pas le faire. Mais en tout cas de mon côté, je vais continuer à proposer des projets, à explorer de nouvelles voies et on verra ce qui se réalisera.
Il me semble que c’est la première fois que vous venez en France, que pensez-vous d’Annecy ?
Je suis venu une fois en France à Paris quand j’étais lycéen avec ma famille mais c’est effectivement la première fois que je viens à Annecy. Cette ville me plait énormément : je suis conquis par ce que j’ai pu voir, ce qui est délicieux à déguster, les paysages magnifiques, les gens adorables. C’est une très bonne expérience. Le plus important, le plus remarquable à mes yeux est le fait de pouvoir découvrir des œuvres du monde entier, de toute tendance. Je peux faire éclater une partie des idées arrêtées qui peuvent s’être installées de ma pratique de l’animation, dans mon langage formel, mes automatismes. Voir des œuvres différentes permet de sortir de cette coquille.
Avez-vous eu le temps de voir quelques séances ?
J’ai pu avoir des billets pour quelques séances, comme Anzu et Look Back. Comme c’est assez compliqué d’avoir de places, je vais commencer par cela et voir si je peux avoir d’autres places.
J’espère que vous aurez de la chance.
Merci pour tout.