Après avoir fait les beaux jours des éditions Casterman avec plusieurs titres comme Mariko Parade, Sad Girl ou 2 Expressos, la mangaka japonaise Kan Takahama fait son retour en 2017 par le biais des éditions Glénat. Elle y présente un one-shot publié au Japon entre 2014 et 2015, Cho-no Michiyuki, traduit sous nos latitudes par Le dernier envol du Papillon.
Japon, fin du XIXème siècle. Alors que le pays s’est ouvert de nouveau au Monde Extérieur, connaissant de fait un nouvel essor, Maruyma, le quartier des plaisirs de Nagasaki, est en pleine effervescence. Nombreux sont ceux qui content les charmes de Kicho, splendide courtisane au redoutable pouvoir de séduction. En vérité, Cette geisha est surtout soucieuse de répondre aux attentes de sa clientèle, et de lui apporter le meilleur réconfort qui soit, quitte à provoquer l’ire de certaines de ses camarades. Cependant, derrière ce professionnalisme, Kicho masque une lourde histoire personnelle : obligée de travailler pour éponger les dettes de son mari, la jeune femme a dû s’en éloigner, mais veut à présent le retrouver après qu’il ait contracté une grave maladie. Pour autant, tout cela n’est pas du goût de Kenzo, son beau-fils, qui ne connait pas pour autant tous les détails de cette histoire…
Là où l’on aurait pu s’attendre à une simple plongée dans le milieu des geishas, Kan Takahama nous invite à découvrir un portrait bien plus large de la société de l’époque, en restant paradoxalement centrée sur son héroïne. Kicho apparaît ainsi comme une femme courageuse, dévouée et empathique, qui s’intéresse à la vie et aux besoins de ses clients. Mais elle s’intéressera aussi aux sciences et à la médecine occidentale, à l’image d’une société en pleine ouverture, notamment dans sa relation tendre avec le médecin étranger s’occupant de son époux. La peinture qui nous est présentée tient plus d’un instantané de ce brassage socio-culturel que d’une véritable volonté didactique, mais l’histoire n’en est pas moins entraînante, bien que très morose et mélancolique. En outre, et malgré la fatalité apportée par le récit, on observera une opposition symbolique entre Kicho, qui incarne certaines valeurs traditionnelles, et Kenzo, disciple du médecin s’occupant de son père, représentant la modernité qui guidera le Japon dans le siècle suivant.
L’immersion dans le milieu des geishas et les nombreuses discussions entre courtisanes (et leurs assistantes) permettront également de déconstruire certains mythes autour de la profession, Pour autant, le titre ne manque pas d’une dose d’érotisme assez présente, sublimée par le trait de Kan Takahama, tout de charme et de douceur. La mangaka aura reconnu avoir un peu forcé le trait pour anticiper les attentes des lecteurs et de ses éditeurs, bien que cela ne soit pas forcément nécessaire. Mais l’on ne reste ici que dans la suggestion du charme et du désir, même lorsqu’il s’agit d’évoquer un rêve érotique du jeune Kenzo, et tout en couleurs par ailleurs ! Pour le reste, le style de la dessinatrice et très fourni en détails et en trames très nuancées (au point que l’on imaginerait aisément une version couleurs au format BD), mais nous perd parfois dans le déséquilibre ou la ressemblance de certains visages.
Le dernier envol du Papillon associe donc une forme de grâce esthétique à un récit mélancolique, voire tragique sous certains aspects, mais qui annonce une forme de renouveau derrière les sacrifices. Kan Takahama y sublime une héroïne qui cristallise tous les aspects lyriques et mystiques de la féminité des geishas, tout en démantelant certaines croyances trop bien ancrées, surtout dans l’esprit des lecteurs occidentaux. Et par ce biais, elle offre un regard assez tendre et triste sur cette société de transition entre deux époques, deux faces de l’Histoire du Japon.
Alain Broutta
LE DERNIER ENVOL DU PAPILLON (CHO-NO MICHIYUKI), one-shot de Kan TAKAHAMA (2014)
Historique/Tranche-de-vie, Japon, Glénat – Seinen, avril 2017, 160 pages, livre broché 10,75 euros.