Au Japon, il ne faut pas confondre « se laver » et « prendre un bain ». En Occident on se lave seul, dans une pièce petite, assez inpersonnelle. Au Japon, lorsqu’on prend un bain, cela peut être collectivement, en famille, chacun se lavant mutuellement en dehors de la baignoire avant d’y pénétrer afin que tout le corps se délasse pleinement. C’est une affaire de volupté. Tout comme dans les Sentô, les bains publics, où, bien que les hommes soient séparés des femmes, ils s’apparentent à des confessionnaux profanes où s’échangent des paroles sincères et libérées. Les bains sont alors un reflet du vivre ensemble, du rapport à l’autre typiquement nippons. Et cela au même titre que le haiku et l’ikebana. Sont abordés des extraits de films qui touchent au bain, notamment chez Ozu, Naruse et, plus proche de nous, chez Kore-eda. Le tout progresse vers un état des lieux politique du Japon, à tendance néo-impérialiste du 1er ministre Shinzo Abe.
Akira Mizubayashi est écrivain et universitaire. Son livre, écrit directement en français, est le fruit de l’assemblage de 26 articles traitant plus ou moins du bain, de la langue, du peuple et de la démocratie déclinante au Japon. Le bain n’est finalement qu’un prétexte, en tout cas son point de départ pour aller de la communauté familiale à la communauté nationale. Il reprend ainsi une histoire chronologique du pays pour en montrer l’esprit : la collectivité prime sur l’individu. Par exemple, dans les années 30, tout sujet devait considérer l’ordre de son supérieur comme si c’était celui de l’empereur ! De nos jours, la suprématie du PLD, le parti majoritaire depuis la fin de la guerre, tend à recruter ses candidats dans tous les milieux en vogue (sport, spectacle…), ce qui vide le débat politique de ses réels problèmes jusqu’à soumettre inconsciemment l’électeur à cette « politique liberticide » pense Akira Mizubayashi. La démocratie est ainsi absolument mise à mal . Cette analyse politique du Japon actuel est très pertinente et originale car traitée d’un point de vue occidental finalement : un Japonais ne parlerait jamais de « démocratie » d’autant qu’elle lui a été imposée par les Américains, vainqueurs de la guerre. Mizubayashi prend le point de vue des Lumières, dont le Japon est à mille lieues ; c’est ce qui inquiète son auteur.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Dans les eaux profondes, le bain japonais d’Akira Mizubayashi, éd. Arléa, 220 pages, mars 2018,19€.