1542, Saint Empire Romain Germanique. Dans un petit village aux alentours de Sarrebourg vit une jeune fille nommée Ella, dans une famille nombreuse qui ne peut plus subvenir à ses besoins. Pensant qu’elle est possédée par le démon, ses parents décident de s’en séparer en la vendant, mais Ella parvient à s’échapper. Quelques jours plus tard, elle est recueillie par Angelika, une sage-femme qui décide de l’adopter, et qui parvient à juguler son comportement violent. Quelques années plus tard, Ella et Angelika sont devenues une vraie famille, du moins jusqu’au jour où Angelika est arrêtée par l’Ordre du Claustrum, sous le joug d’une condamnation pour sorcellerie…
Lancé en 2015 chez l’éditeur Shôgakukan, Hengoku no Schwester est un titre de Minoru Takeyoshi, un jeune auteur qui signe ici sa toute première œuvre. Succès critique au Japon, la série bénéficie de recommandations d’auteurs illustres comme Hiromu Arakawa (FullMetal Alchemist, Arslan) ou Makoto Yukimura (Vinland Saga). Son style graphique et narratif n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de ces illustres parrains. Lancé en France sous le titre Le couvent des damnées, cette histoire s’inscrit en effet dans un contexte historique trouble. Tout juste sorti de l’obscurantisme médiéval, le Saint Empire Romain Germanique vit sous les heures de l’Inquisition et de la chasse aux sorcières.
La première partie de cette introduction se consacre à la construction du personnage d’Ella. A cause de son tempérament volatile et de sa débrouillardise, la jeune héroïne est rapidement dépeinte comme une incarnation du Mal, à tort ou à raison. Ses années en compagnie d’Angelika permettront de découvrir des facettes plus attachantes de sa personnalité. Mais la destruction de cette figure maternelle plongera Ella dans le désespoir et la colère. Ainsi, après cette phase d’exposition, le récit rentre dans le cœur de son intrigue : Ella s’inscrit dans un couvent, dirigé par la même religieuse qui a ordonné l’exécution de sa mère adoptive. Elle espère ainsi l’approcher suffisamment pour obtenir réparation, mais les règles de l’établissement sont particulièrement strictes. Les jeunes sœurs sont humiliées, fouettées, mutilées, afin de se soumettre à l’autorité des mères supérieures. Au-delà de l’objectif, Le couvent des damnées est aussi un récit de survie dans ce contexte obscur et impitoyable.
Du côté du dessin, le style de Minoru Takeyoshi n’est pas sans rappeler celui de Makoto Yukimura aux débuts de Vinland Saga, en accusant quelques irrégularités. Si l’immersion dans l’époque est impeccable, le jeune mangaka préfère l’expressivité au réalisme pour les visages de ses protagonistes, avec de très grands yeux volontaires. Pour les scènes les plus insoutenables, il préfère la suggestion à l’exposition crue, mais en retranscrit parfaitement la dimension tragique et impitoyable. Aussi, la seule chose que l’on pourrait reprocher à l’œuvre, c’est la rareté de ses respirations. Bien qu’Ella se fasse des alliées au sein du couvent, la violence permanente devient finalement routinière, et au final nous empêche de les prendre en empathie. Un choix assumé qui se justifie dans le climat pesant de l’œuvre, mais qui pourra, à la longue, lasser certains lecteurs.
Alain Broutta
LE COUVENT DES DAMNEES (HENGOKU NO SCHWESTER) volume 1 de Minoru TAKEYOSHI (2015)
Historique/Suspense, Japon, Glénat – Seinen, janvier 2017, 208 pages, livre broché 7,60€