Coffret Yasuhiro Ozu de Yasuhiro Ozu

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Carlotta s’atèle à ressortir les films du grand réalisateur japonais Yasuhiro Ozu en éditant un somptueux coffret comprenant six de ses films à différentes périodes de sa vie. Enrichi de nombreux bonus (dont des courts métrages du cinéaste), l’achat s’avère tout bonnement indispensable pour tout amoureux du 7e Art.
Oeuvre de “jeunesse” d’Ozu, “Où sont les rêves de jeunesse” se situe en plein dans sa période fortement inspirée du cinéma américain. Il est passionnant de remarquer à quel point Ozu est loin du style qui va assurer sa future renommée : le rythme est enlevé et dynamique, comique de situation et blagues potaches contrastent avec les futurs moments de silence. Derrière la comédie s’esquissent déjà le regard affûté du cinéaste et sa fine observation de la société japonaise et de ses congénères. Satire sociale, la fin d’une époque pour ces cinq amis passant de l’insouciante vie étudiante à celle de jeunes adultes responsables résonne comme celle d’un Japon fin prêt à partir en guerre (en Mandchourie) ou du muet disparaissant au profit du cinéma parlé…

OU SONT LES REVES DE JEUNESSE (1932, 83’)
UNE FEMME DE TOKYO (1933, 47’)
HISTOIRE D’HERBES FLOTTANTES (1934, 86’)
RECIT D’UN PROPRIETAIRE (1947, 71’)
PRINTEMPS TARDIF (1949, 108’)
CREPUSCULE A TOKYO (1957, 136’)

Profondément influencé par le cinéma américain (comme en témoigne un large extrait du If I had a million de Lubitsch au cours du film), Ozu inclut dans Une Femme de Tokyo, pour la première fois ce qui seront les principales caractéristiques de ses futurs films : des plans à ras le tatami/sol, des inserts de plans fixes et des brusques ruptures de rythme et de ton au cours du récit. Visions embryonnaires des premiers pas hésitants d’un futur géant de la réalisation, l’intrigue n’est malheureusement pas à la hauteur des prétentions de l’artiste. Drame typique de son époque, le jeu des acteurs (trop âgés pour leurs rôles) renforce l’exagération des sentiments jusque dans un dénouement bâclé et confus. Reste l’effet de curiosité.
Avant son propre remake en couleur en 1959, Ozu signe une première adaptation en noir & blanc de l’histoire de la maîtresse d’un directeur de théâtre itinérant, qui rencontre le fils issu d’une précédente liaison. Les deux œuvres n’auront d’ailleurs en commun que l’intrigue et constituent une belle comparaison entre les premiers films sous forte influence américaine et l’univers si singulier du réalisateur par la suite. Si les mouvements de caméra sont encore nombreux, le regard du cinéaste se fait déjà aiguisé. Et Ozu de capter ces imperceptibles tempêtes de sentiments cachés derrière des visages fermés. Le départ du réalisateur pour la campagne ne donne pourtant pas davantage d’air à respirer aux protagonistes englués dans le complexe canevas de la vie. Etonnamment moderne malgré son grand âge, Histoire d’herbes flottantes est une autre preuve du talent de son réalisateur.

Premier film de l’après-guerre, Récit d’un propriétaire est considéré comme un film mineur pour avoir été durement critiqué à sa sortie pour la représentation trop “réaliste” d’un Japon en ruines. Il s’agit pourtant là d’une des qualités indéniables du film, qui, derrière le touchant récit d’une propriétaire bourrue recueillant un orphelin de guerre, réussit l’admirable tour de force de décrire habilement la situation d’une nation entière. Film quasi muet par son habile mise en scène visuelle, les quelques dialogues (évoquant notamment le saké, boisson favorite du cinéaste largement représentée dans ses films) sont un joyau d’écriture. Certes dramatique par la représentation d’un pays à terre et la dure évocation de l’orphelin passé de main en main tel un vulgaire objet, l’optimisme et l’humour finissent par prendre le dessus dans cette nouvelle magnifique réussite du réalisateur. Et de servir de modèle autant visuel que moral aux futurs films de Takeshi Kitano (Scene at the sea, L’été de Kikujiro).

Printemps Tardif est le film dit “de rupture” entre l’ancien style fortement influencé par le cinéma américain et la mise en place de l’univers si singulier de Yasuhiro Ozu. Le cinéaste finit par abandonner totalement tout mouvement de caméra, enchaîne les plans à “ras le tatami/sol” et recourt à de nombreux inserts de plans fixes apparemment sans lien direct avec l’action en cours. L’intrigue ressemble pourtant à s’y méprendre aux vaudevilles nippons typiques de l’époque avec cette histoire d’un père mettant en place un subtil stratagème pour pousser sa fille à épouser un homme. Le cinéaste observe, caméra aux aguets, les profonds changements sociaux de la société nipponne dans l’immédiate après-guerre : l’incompréhension entre générations, l’abandon des traditions et la croissante emprise de l’occupant américain dans le quotidien japonais. Ses intrigues interchangeables ne servent finalement que de toile de fond à des véritables préoccupations, qu’Ozu réussit à marier de manière admirable à son propre univers.

Dernier film en noir & blanc, Crépuscule à Tokyo constitue également l’œuvre la plus noire du cinéaste. Parfaitement atypique au premier regard (et décrié à sa sortie), ce long est finalement à placer du côté des plus réussis de son auteur. Comme pour s’amuser de sa propre image auprès des (critiques) cinéphiles, Ozu débute son film sur la fausse piste de l’échec d’un mariage arrangé. Thème de prédilection, c’est finalement du manque affectif par l’absence/les retrouvailles d’une mère que traite le film. Personnage largement absent de l’ensemble de sa filmographie, la figure de la mère est donc examinée sous toutes ses coutures. Rarement un cinéaste (masculin) n’aura réussi à faire meilleur portrait de femme. Toujours fidèle à sa sensibilité visuelle épurée, chaque plan semble entièrement au service de l’émouvante dramaturgie du récit, jusque dans son dénouement parfaitement logique.

Éditeur : Carlotta Films

Pays : Japon

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