La narratrice, la soixantaine doit accueillir sa fille chez elle. En effet, celle-ci rencontre des difficultés à son travail. Lesbienne, elle est très mal vue par sa hiérarchie universitaire. D’autant qu’elle revendique, haut et fort, de ne pas mélanger les affaires professionnelles à celles privées. Quitte à en subir les conséquences. Rien n’y fait. Sa mère ne pouvant lui avancer l’argent pour provisionner sa caution de location, est contrainte d’accepter la cohabitation. Déjà, passablement contrariée par la vie dissolue de sa fille, la mère doit également accueillir sa compagne.
C’est alors que la mère entre en éruption. Un flot de questions l’assaille. Elle le reconnaît elle-même « Son monde est trop éloigné du mien. Elle ne reviendra plus jamais dans mes bras. » Non seulement, elle ne la comprend pas, mais elle redoute la réaction des gens de son quartier. “En bonne personne”, elle n’entrevoit pour l’avenir de sa fille que le mariage et des enfants, comme elle-même a dû s’soumettre. D’où son rejet viscéral de la compagne.
De plus, à son travail, la narratrice doit subir des vexations et des reproches de sa hiérarchie. Dans cet « EPHAD » consumériste où elle galère , elle s’occupe beaucoup de Jen, une vieille femme célibataire, sans enfants et atteinte d’Alzheimer. Cette dernière est très vite reléguée dans un mouroir à la plus grande consternation de son aide. L’administration ne tient guère à perdre de l’argent en lui laissant encore occuper une chambre qu’une autre « vieille » paiera rubis sur l’ongle.
Au travers de son roman, l’autrice Kim Hye-jin ouvre un robinet intarissable de questions chez la narratrice. Si celle-ci cherche à comprendre ce que sa fille vit et subit, elle ne s’en apitoie pas moins sur son sort. Toutes les bases de la société traditionnelle coréenne sont remises en cause par l’attitude obtuse de sa progéniture. De ce fait, l’éducation que la mère lui a inculquée s’avère un échec. Malgré de réels efforts, elle ne la comprend pas du tout. Bien sûr, elle ne se l’avoue pas, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle ne peut lutter contre ses a priori. Elle tourne en rond et perd ainsi tous ses repères familiaux et sociétaux.
Beau roman, d’une femme sur une femme, ainsi que sur les fractures de la société coréenne. Elles sont de plus en plus béantes dans de très nombreux domaines (1). Désormais, par des revendications résolument iconoclastes, les enfants refusent de se plier aux injonctions autoritaires des anciennes normes sociétales.
L’apaisement relatif de la fin du roman donne à penser qu’un rapprochement entre les trois femmes est concevable tout autant qu’entre les différentes parties de la société.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) lire notre article : https://asiexpo.fr/la-coree-du-sud-en-100-questions-la-tyrannie-de-lexcellence-de-juliette-morillot-parait-chez-tallandier/
À propos de ma fille de Kim, Hye-Jin, roman traduit du coréen par Kyungran Choi et Pierre Bisiou, 176 pages, 18€, collection du monde entier, éd. Gallimard.