Déjà connu aux éditions Glénat pour la sérié médicale Team Medical Dragon et pour le thriller fantastique La Tour Fantôme, le mangaka Taro Nogizaka nous revient avec une histoire dans un registre encore différent : un récit d’aventures en plein cœur de la Révolution Française ! Une période historique qui a toujours fasciné les auteurs japonais, depuis Ryoko Ikeda et sa célèbre Rose de Versailles, mais qui semble connaître un nouveau regain populaire. Le 3e Gédéon saura-t-il faire émerger son fleuret de la mêlée ?
Taro Nogizaka nous narre le destin croisé de deux hommes au statut bien différent : Gédéon, issu du peuple, est un jeune écrivain qui gagne sa vie en publiant des nouvelles érotiques. Mais ses activités ne tarderont pas à lui valoir quelques ennuis avec la justice, pour atteinte aux bonnes mœurs. Georges est un aristocrate un peu fantasque qui dissimule son visage derrière un masque, et qui aspire à instaurer la même justice pour tous. Gédéon et Georges sont liés par le passé : en effet, le premier fut recueilli par la famille du second durant son enfance. Tous deux lièrent une amitié fraternelle, jusqu’au jour où, lors d’un entraînement à l’épée, Gédéon blessa Georges à l’œil gauche. Georges lui ordonna alors de fuir le domaine sur le champ, pour qu’il n’ait pas à subir le courroux de son père. Des années plus tard, les deux amis d’enfance se retrouvent, mais Gédéon constate que Georges a bien changé : le jeune Duc est prêt à tout, mettre au meurtre, pour faire appliquer ses idéaux d’égalité et de justice…
Gédéon et Georges représentent ainsi deux facettes de la société française, à neuf mois de la prise de la Bastille. Tous deux sont des idéalistes, mais diffèrent dans leurs méthodes. Gédéon, homme du peuple, a rédigé quelques pamphlets pour faire réagir sa classe sociale, et a pour ambition de représenter le Tiers État aux États Généraux. Depuis qu’il a blessé Georges, il s’est juré de ne plus jamais manier une épée, lui préférant à présent la force des mots. Georges, lui, présente un profil plus inédit : celui d’un noble favorable à un renversement du régime, comme quelques figures aristocratiques de l’époque. Il pourra ainsi évoquer Lafayette, d’autant qu’il a pour homme de main un amérindien, impliquant une connexion avec les Amériques. Cependant, ses ambitions sont en totale contradiction avec ses méthodes : complot, duels judiciaires et exécutions sommaires. Aussi, pour l’heure, Georges affirme vouloir aider Gédéon dans son ascension, mais qu’en sera-t-il lorsque leurs points de vue divergeront ? C’est sous cette épée de Damoclès que se déroule le récit, Georges apparaissant comme un personnage aussi fascinant que détestable.
Si Taro Nogizaka a créé ici deux personnages purement fictifs, il introduit également d’autres figures emblématiques de la Révolution, comme Robespierre ou Saint-Just. Toutefois, si le mangaka a fait appel à un historien pour superviser son histoire, il ne faudra pas chercher une grande véracité historique dans le comportement de ces personnages. En particulier Saint-Just, qui est présenté comme un homme de main à la solde de Georges. Quoiqu’il en soit, Le 3e Gédéon semble s’orienter vers le pur récit de fiction centré sur la tragédie autour de ses deux protagonistes, sur un fond historique sublimé, quitte à rogner sur l’exactitude historique.
Du côté du dessin, Taro Nogizaka conserve un style plaisant, réaliste, qui nous immerge parfaitement dans la société de la fin du 18ème siècle. Georges est le personnage le plus mis en valeur, avec un style androgyne assumé (et même une scène de nu) et un style fantasque, qu’il partage avec ses hommes de mains. Nous restons loin du caractère baroque à l’extrême de Shinichi Sakamoto et de son Innocent, mais ce parti pris ne sera pas du goût de tout le monde. Au final, que ce soit par le style ou par les actes, le personnage de Georges est une figure au charisme inquiétant, le pur anti-héros qui pourra fasciner une partie du lectorat comme rebuter la seconde. A vous de vous situer par rapport à ce postulat.
Alain Broutta
LE 3E GEDEON (Dai-3 no Gideon) volume 1 de Taro NOGIZAKA (2015)
Historique/Drame, Japon, Glénat – Seinen, mars 2017, 224 pages, livre broché 7,60 euros