19e Festival International du Film de Singapour (Partie 2)

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LANGUEURS SINGAPOURIENNES

Traditionnellement, le Singapore International Film Festival est l’occasion d’offrir une belle vitrine à la production locale. Ces dernières années avaient ainsi vu se succéder quelques-uns des meilleurs longs-métrages de la courte histoire singapourienne : “15” de Royston Tan et, assurément un cran au-dessus, “Perth” de Djinn – ce dernier est revenu du 11e Festival Cultures & Cinémas d’Asie de Lyon auréolé de quatre récompenses, dont le 1er prix New Asian Cinema et le 1er Prix de la Presse ; plus récemment, I-S, le (seul) magazine indépendant singapourien, l’a qualifié de “film le plus compétent et abouti de la décennie” et, last but not least, il est sélectionné pour la section “Tous les Cinémas du Monde” au prochain Festival de Cannes, soit un parcours rêvé et mérité pour un film qui peine encore à trouver des distributeurs… Cette année, y-a-t-il, parmi les quatre – un record, Singapour ne produisant en général guère plus de cinq films par an, dont plus de la moitié sont d’épais blockbusters – longs-métrages locaux présentés, un digne successeur à ces chefs-d’oeuvre ? Manifestement non, ce qui ne signifie pas pour autant que la production de films d’auteurs Made in Singapore soit en crise, bien au contraire. La quantité est là et c’est très prometteur ; de plus, si la qualité n’est pas renversante, elle reste très honorable. Plus encore, une homogénéité manifeste dans l’ambiance, la photographie soignée et la mise en scène fluide, tendraient à esquisser les contours d’un style propre au cinéma actuel singapourien, marqué par la langueur et la tendresse.
Outre “4:30” de Royston Tan et “LOVE STORY” de Kelvin Tong, deux noms déjà bien installés, on pouvait voir deux autres longs-métrages locaux – qui hélas m’ont échappé…
“THE ART OF FLIRTING” de Kan Lume, est annoncé comme un futur succès et a déjà été primé aux Malaysian Video Awards. Romance manifestement bien filmée entre une journaliste et son interviewé, le film devrait sortir bientôt à Singapour et sera du programme de nombreux festivals internationaux à venir, dont celui de New York. N’ayant pu en voir que des extraits, je ne peux me prononcer sur ses qualités, hormis sur l’indéniable beauté de sa photographie et son atmosphère apparemment langoureuse et ludique.
Présenté en avant-première mondiale juste avant l’ouverture officielle du festival, au cours d’un gala de charité très très select où étaient conviés le président S.R Nathan et des people comme il faut, “SINGAPORE DREAMING”, du couple de producteurs/cinéastes Jocelyn Woo Yen Yen et Colin Goh (auteurs en 2001 de la très moyenne comédie familiale “Talking Cock : The Movie”), est sans conteste le gros morceau de ce festival, à en croire l’emballement des critiques et le battage publicitaire autour de l’événement. Il faut dire que Singapour aurait a priori de quoi pavoiser, puisque, pour la première fois de son histoire, la petite Cité-État était parmi les nations sélectionnées aux Oscars à Hollywood, en mars dernier. Étonnant montage financier et technique que ce film pour Hollywood, du moins sur le papier, puisque “Singapore Dreaming” est réalisé par un couple de Singapouriens émigrés, avec une équipe américano-panasiatique et un producteur plus connu jusqu’à présent pour ses activités de… chirurgien esthétique. Selon les dossiers de presse et les commentaires des chanceux l’ayant vu, “SINGAPORE DREAMING” se présente de prime abord comme la chronique attendrie d’une famille singapourienne dont le patriarche, Lo Poh Huat, s’épuise dans son travail ingrat d’huissier et abreuve sa famille de ses rêves “à la singapourienne” (comprenez son désir d’être riche). La vie s’écoule doucement, avec l’imminence de la retraite du chef de famille pour proche horizon. Lorsque Lo Poh Huat gagne deux millions de dollars singapouriens (environ un million d’euros) à la loterie, le moment semble venu de réaliser ses rêves pour la famille, mais l’afflux d’argent crée des problèmes et des tensions grandissantes, car tous n’ont pas la même conception du bonheur. Dès lors le rythme s’emballe et le film bascule dans la comédie grinçante. Apparemment, “Singapore Dreaming” vaudrait le détour pour son aspect documentaire mi-tendre, mi-cruel, où le mythe singapourien des 5C (Cash, Credit-Card, Car, Condominium et Country-Club) est égratigné et où la diversité linguistique de l’île rayonne à travers l’usage truculent des dialectes. La sortie de ce film étant prévue pour l’été 2006, nous aurons vraisemblablement l’occasion d’en parler plus en détail dans les mois à venir.

La dernière image de « BABAE / WOMAN » de Sigrid Andrea Bernardo

“BABAE / WOMAN” de l’actrice-réalisatrice Sigrid Andrea Bernardo, est de loin le meilleur court métrage qu’il m’ait été donné de voir cette année et a soulevé des murmures d’admiration d’un public clairsemé mais heureux. De l’enfance à l’âge adulte, nous suivons l’itinéraire de deux amies vivant dans un quartier sordide traversé d’une voie ferrée déglinguée. Jacqueline, garçon manqué, ballottée par la vie (son père s’est suicidé après avoir battu sa femme à mort), se réfugie chez son amie “Barbie” Rosie, qui rêve de devenir danseuse de bar. Elles grandissent et Jacqueline devient réellement un garçon manqué, s’attirant l’intérêt des homosexuels. Un soir, toutes deux sont violées par des clients des bars où elles travaillent. Jacqueline se retrouve enceinte. Les deux jeunes femmes élèvent ensemble le bébé, qui souffre de daltonisme. Traitant avec tendresse, humour et subtilité de thèmes aussi divers que la misère, l’inégalité, l’homosexualité et la violence, ce film vaut aussi le détour pour son travail sur l’image et la couleur (alternance de noir et blanc et de couleurs vives).
“THE MANSION” de Joel Ruiz bénéficie d’une image splendide, grâce au travail d’Alma de la Pena (également directrice de la photographie de “Babae/Woman”). C’est l’histoire d’un couple de quinquagénaires embauché par une riche bourgeoise pour entretenir sa luxueuse demeure en son absence. Peu à peu, le couple se laisse tenter par l’opulence de cette maison et en profite pour s’octroyer des moments de plaisir. Une belle fable sur les inégalités sociales et les rêves brisés.
“SIMULA” de Ruelo Lozendo, est filmé dans une petite île volcanique de l’archipel. L’acteur mutique est un natif de l’île, évoluant avec grâce dans un univers qui semble épargné par la civilisation. Une nuit, une chenille se glisse dans son oreille. L’ouïe du personnage s’en trouve modifiée et des soies d’un cocon sortent de son oreille. Quand un papillon s’en échappe, il se sent visiblement pris d’une grande euphorie et danse sur une crête volcanique. Une belle photographie au service, selon son auteur, d’une “communion entre l’homme et la nature”.

BILAN ET PALMARES FINAL

And the winner is… Le cinéma japonais, dont les films, hors-compétition ou en compétition officielle, ont dominé le reste de la programmation et ont souvent ému le public. C’est aussi une belle promesse pour le cinéma local singapourien, qui, fort de ses récompenses, peut enfin songer à abandonner un certain complexe d’infériorité et prouver au monde que Singapour ne se résume pas uniquement à Eric Khoo. Mention aussi pour le cinéma indonésien en plein bourgeonnement, qui s’en tire honorablement. Par contraste et par rapport aux trois éditions précédentes (ne remontons pas à Mathusalem), les grands perdants, affichant du moins une certaine perte de vitesse, sont les films coréens, chinois et indiens, qui n’ont suscité qu’une indifférence polie du jury et un faible enthousiasme du public (à l’exception de “The President’s Last Bang”, hors compétition ).

SILVER AWARDS 2006 (catégorie LONGS METRAGES) :
– Meilleur film et Prix du Public : “It’s Only Talk” de Ryuichi Hiroki (Japon), qui, outre les deux trophées, empoche 50 000 dollars singapouriens (environ 25 000 euros), car à Singapour on préfère l’argent aux symboles.
– Meilleur réalisateur : Kelvin Tong pour “Love Story”, ce qui fait les gros titres des journaux locaux, car cela faisait près de dix ans qu’on attendait le couronnement d’un réalisateur singapourien. Le film obtient aussi un autre prix : celui du meilleur acteur, pour la prestation du chanteur-acteur chinois Allen Lim – malheureusement, les excellentes actrices du film repartent les mains vides, ce qui n’entame pas le joli sourire d’Ericia Lee.
– Prix Spécial du Jury : “Gie” de Riri Riza (Indonésie) qui remporte un joli trophée et 5 000 dollars singapouriens.

SILVER AWARDS 2006 (catégorie COURTS METRAGES LOCAUX) :
– Meilleur court métrage : “Quietly” de Oong Jit Fong. Un court métrage en langue japonaise, tourné à New-York par un réalisateur singapourien, racontant les derniers moments de sérénité d’un grand-père contemplatif, souhaitant transmettre un héritage de perceptions et d’appréciations de l’existence à un petit-fils peu conscient de l’enjeu.
– Meilleur réalisateur : Kam Leong Huat pour “Di”, un film sur la rivalité entre deux frères, vision assez creuse de la relation entre deux petits garçons.
– Prix Spécial du Jury : “10 Minutes Later” de Kirsten Tan. Un film sur le déterminisme et les enchaînements de cause à effet, avec une photographie que j’ai trouvée très moche.
– Mention Spéciale : “Where Is Singapore ?” de Kelly Ling. Un mini court métrage (guère plus d’une minute !) d’animation cherchant avec humour où se situe la minuscule Cité-État sur la planisphère.

Personnellement, je regrette qu’ “Aik Khoon”, sympathique film produit par la talentueuse Ting Li Lim (qui avait raflé deux Silver Awards l’an dernier pour l’excellent “Un Retrato de Familia”), n’ait rien obtenu. Déception aussi pour le très bon “Hello” de Gavin Lim, qui repart bredouille – à l’inverse du fort pertinent verdict du jury pour les longs métrages, les courts métrages locaux de cette année semblent selon moi refléter des choix fort discutables, même si la grande qualité de la sélection avait de quoi rendre délicates les décisions.

Etienne Dessaut (Singapour, le 30 avril 2006)

VOIR AUSSI 19e Festival International du Film de Singapour (Partie 1)

Pays : Singapour

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