Zakir Hussain, le maître des tabla

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Lors de son passage en juillet dernier au festival de Jazz à Vienne, nos deux reporters ont rencontré, la plus grande star de la musique indienne. Un musicien charismatique et emblématique de l’Inde ouverte au monde.

Comment est né le groupe Shakti ?

J’ai rencontré John MacLaughlin, il y a 25 ans, alors que j’enseignais au collège Ali Akbar Khan en Californie. Nous avons ensuite joué ensemble lors d’un petit concert à New York, que nous avons enregistré. Comme la musique était belle et pleine d’énergie nous avons appelé le disque Shakti qui signifie création, force et énergie. Depuis notre amitié et notre collaboration n‘ont jamais cessé. Récemment, nous avons enregistré avec une nouvelle formation “Remember Shakti” : l’émotion et l’énergie étaient intactes. Shakti est une plate-forme avec un noyau de base – John et moi – ouverte vers d’autres musiciens et donc d’autres horizons musicaux.

Est-il difficile de jouer avec John MacLaughlin ?

Non, car il est, à mon avis, le seul guitariste occidental, à pouvoir jouer n’importe quel style de musique. Il a joué avec Paco de Lucia, avec Jeff Beck, Sting ou Santana, à chaque fois c’était une expérience différente, mais il s’est adapté admirablement bien. Il joue aussi bien avec des musiciens indiens que des concertos de musique classique.
Pour un percussionniste, il est plus aisé de s’adapter à tous les styles de musique. Des tabla, tu en entends dans le Rock, la Techno, la Jungle, le Jazz. Le rythme est universel.

Peut-on considérer le film “Zakir & his friends” comme un tour du monde des percussions à travers tes “Rythm Experiences” ?

Oui. L’idée générale était que le monde des percussions, des rythmes, nous provient de notre quotidien. Regarder un cheval courir, une personne qui fauche de l’herbe ou un pilon qui écrase le grain. Ces gestes deviennent instruments, rythmes, tempos. C’est ce que l’on apprend en Inde. Par exemple, prends le cycle de rythme à 10 temps, le Jhaptal ; les grands maîtres disent qu’il se rapproche du rythme qui exprime le mouvement de l’éléphant. Le rythme à 6 temps est celui du chameau. Dans d’autres cas, on évoque le saut du daim, le galop du cheval. L’observation de la nature est source d’inspiration. Le film exprime bien que l’approche des rythmes et des racines des rythmes est la même partout.

Pour rester dans le cinéma, parlons de Vanaprastham (“La Dernière Danse”) de Shaji N. Karun, dont tu as composé la musique. Comment composes-tu ? Quels instruments utilises-tu ?

Cela dépend des films. Le film était très “organique”, j’ai donc utilisé des instruments organiques traditionnels comme le Tavil, le Mridangam, la Veena, la flûte, le violon du sud de l’Inde, et la voix. Parfois, je mets un peu de piano, juste pour donner un bourdonnement. Shaji est un grand réalisateur qui a une bonne oreille musicale. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’a dit qu’il connaissait ma musique, mon “son” et qu’il avait déjà fait un montage avec ma musique sur ses images. Mais il désirait la création d’une bande-son originale, j’ai donc composé de la musique du Kerala pour des chanteurs accompagnant la danse Kathakali. Je n’avais jamais fait cela auparavant.

A travers l’histoire de la musique indienne, des instruments nouveaux (comme le violon il y a quelques siècles, la mandoline de Srinivas, musicien jouant dans Shakti ou le saxophone plus récemment), s’intègrent dans le répertoire indien. Comment expliques-tu la capacité d’absorption de la musique indienne ?

Prenons, l’exemple du Santoor, il a fallu longtemps avant qu’il ne soit accepté par le public et les musiciens comme un instrument “noble” de musique classique. Idem pour le violon et le saxophone, mais il a suffi qu’il y ait un grand maître ; des Shivkumar ou des Kadri Golpanath ont fait énormément pour accorder la popularité et la reconnaissance que ces instruments méritaient. Après tout, le sitar et le sarod n’étaient pas considérés il y a 200 ans comme des instruments classiques. Alors que la voix et la Veena (flûte) l’étaient depuis bien longtemps.

Comment vois-tu l’avenir de la musique indienne ?

Elle est beaucoup plus accessible. Il y a plus de jeunes indiens qui jouent incroyablement bien : les violonistes Ganesh et Kumaresh, Shahid Parvez sitariste et guitariste, Srinivas à la mandoline ou le chanteur Rachid Khan, ne sont pas simplement d’excellents musiciens, ils communiquent une image positive de leur musique tout en suivant les traditions. Autrefois, il n’y avait que Ravi Shankar qui pouvait parler de la musique et la rendre accessible au plus grand nombre. Maintenant les jeunes musiciens jouent, s’expriment, vont vers le public. Certains de ce fait, les considèrent comme trop commerciaux. Il y a un choix à faire : faut-il jouer pour une “élite”, un petit groupe de mélomanes initiés ou toucher plusieurs milliers de personnes en popularisant la musique indienne dans le monde entier ?

Que t’apporte l’Occident ?

L’Ouest m’aide à mieux comprendre ma culture. C’est difficile pour moi en étant en Inde, de l’apprécier, de la comprendre, de l’aimer. Quand je suis en dehors (il vit en Californie), je vois mieux, je comprends mieux. J’écoute ma musique à travers vos oreilles, j’essaie de la rendre plus accessible au public occidental.

Tu as l’air jeune et heureux. Cela vient-il de la joie de jouer ou des petits plats que préparent ta femme ?

Les deux (rires). Ma femme est excellente cuisinière, mais plus important, elle est une grande amie, elle me décharge de tout ce qui pourrait altérer ma musique. Aussi, ais-je l’air jeune et heureux. Quant à la musique, elle m’aide dans ma vie, elle est ma vie.

Ton père Alla Rakha est un célèbre musicien (il accompagnait au tabla Ravi Shankar). As-tu des enfants qui désirent devenir de grands musiciens ?

Mon père a de nombreux élèves, je les aide aussi. Certains commencent à être connus. J’ai de grandes espérances pour mon petit frère. Actuellement, il y a deux jeunes femmes qui apprennent avec moi. L’une d’elle fait déjà des concerts. Il n’est pas nécessaire que ce soit mes propres enfants. Mes élèves sont mes enfants.

ZAKIR & HIS FRIENDS

25 ans après, Shakti se rappelle à nous. La formation initiale est presque au complet. Le violoniste L. Shankar a laissé place à un invité de marque : le remarquable joueur de bansuri (flûte), Hariprasad Chaurasia. Ce dernier apporte une nouvelle tonalité, le souffle devient musique, et Shakti développe une musique tant profondément indienne (classique), que celle de John McLaughlin et sa guitare magique.
Zakir Hussain (tabla) et Vikku (ghatam], la précision d’un duo parfaitement rôdé, sont les accompagnateurs ou solistes joyeux pour comprendre le monde des tala (cycle de rythmes) de la percussion classique indienne.
“Chandrakauns” est un mélange de rag, issu du rag Malkauns joué aussi bien à midi qu’à minuit, suivant la théorie du temps inhérente à la musique classique indienne. Le “son” de Hariji, nous fait toucher les notes, le tabla répond, et rejoue les notes que lui propose Hariprasad. Un très beau moment de musique hindoustanie.
“The Wish”, avec une sorte d’alap à la guitare, pour bien nous installer dans le morceau. Jazz et Rag, c’est du pareil au même ?
“ Lotus Feet”, pour finir la face 1 tout en douceur. Les musiciens jouent, personne ne se détache et le morceau finit comme il a commencé, comme une grande vibration de souffle, de cordes et de frappes.
“Mukti”, où l’on peut juger des grandes connaissances, aussi bien théoriques que techniques de John McLaughlin, à propos des Rag. L’intégration de son jeu de guitare parmi la composition et les instruments indiens, nous donne une idée de la modernité et de l’ouverture de la musique hindoustanie, et de John McLaughlin. Les solos de tabla et de ghatam, sont à l’exemple de ceux des concerts donnés en Inde, dans les festivals.
“Zakir”, hommage de deux grands musiciens à un fabuleux percussionniste, douceur du duo guitare-flûte.
Beaucoup de sentiments dans ces concerts enregistrés en septembre 1997 en Angleterre, et une très belle façon de fêter le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Inde. “Remember Shakti” doit sa qualité, non seulement aux performances des ces prestigieux musiciens, mais aussi par ses pièces classiques et Jazz/World.
Remember Shakti, John Mc Laughlin & Zakir Hussain, Polygram, 1999

Un titre risqué et le travail d’un violoniste hors pair, compositeur et arrangeur : L. Subramaniam. Ce disque va plus loin qu’un simple mélange de différentes musiques et instruments. En effet, réunir pour trouver les éléments compatibles, cela augure de la diversité, du sucré indien à la rigueur de l’émotion, tous jouent dans une grande sérénité et lucidité.
Le virtuose L. Subramaniam, est un érudit musical, doublé d’une multitude d’expériences instrumentales et de compositions. Il est curieux de bien des répertoires. Des liens historiques, des lieux évoqués, des rencontres d’archets, sous-tendent le parcours de “Global Fusion”.
“Jai Hanuman” et “Gipsy Trail” par leurs rythmes sonnent ce que l’on peut appeler “World”. “Lost Love” est très captivant, car il s’agit d’amour, là où l’émotion est un moyen. “Blue Lotus” trouve l’équilibre musical dans ce magnifique trio : bel exemple d’union dans la différence. “Harmony of the Hearts”, le besoin d’un hommage à sa femme défunte, les débuts de leur fille Seetaa, comme chanteuse. Beaucoup de tradition carnatique, notamment les solos de ghatam et mridangam. le chant, simple comme un bhajan, ponctue et achève cet album en nous donnant à croire qu’il ne finit jamais.
En fait je rêve et je voudrais que ça continue. Je ne vous dirais pas mes morceaux favoris, écoutez-vite, il y a sûrement les vôtres.
Global Fusion, L. Subramaniam, Erato Disques, 1999

Acoustique et remix tracks, les musiciens de jazz et le sitar de Brigitte Menon. Depuis longtemps, ces deux styles font bon ménage, avec de multiples tentatives, notamment Don Cherry, Jan Garbarek, … Dans le cas de Mukta, vous aurez en plus le remix, au cas où vous voudriez changer de style mais pas de titres.
Dans le premier disque “Acoustic”, surprise des compositions très simples à écouter et immédiatement repérables par leurs mélodies, on en arrive vite à les fredonner, en un mot on accroche. Pour d’autres morceaux, les liaisons instruments/sons, se fondent aisément. C’est toujours un exercice périlleux de composer de jouer en utilisant des instruments et répertoires aux origines très différentes. Le plaisir de l’écoute de Mukta prouve sa réussite. Tout le monde a sa place, les instruments nous livrent leur richesse et leur particularité.
Le deuxième disque “Remix” : pour ma part, le premier me suffisait. Bonne idée cependant, de confier une musique à un autre, avec forcément une interprétation différente. A écouter avec le loudness, c’est parti pour bouger et avaler des kilomètres d’autoroute de notes et de rythmes. Le Jazz reste un grand mixer de la musique.
Mukta, indian sitar & world jazz, double album, WEA, 1999

Pays : Inde

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