« La peur de se perdre dans une ville est semblable à la peur de se perdre dans la vie. Je me suis perdu depuis longtemps ; la perte est devenue un pays intime ». C’est dans l’acceptation de cet état (il a perdu aussi un être cher…) que l’auteur déambule, tout d’abord, dans un Tokyô toujours agité puis dans le Japon du quotidien. Son esprit est tellement en adéquation avec l’endroit où il se trouve, ainsi qu’avec lui-même, qu’un Kami l’accueille peu après son arrivée au cœur même de la capitale. En effet, au sortir d’un musée dans le parc Ueno, il tombe nez à nez avec un aodaishôi : un serpent ratier du Japon. Comme si celui-ci venait le saluer à son retour après un long périple à l’étranger. Alors que c’est sa première venue dans l’archipel et qu’il n’en parle pas un mot.
Par la suite, il rencontre un directeur de théâtre nô en train de cuver son sake dans le métro tôt le matin ; ce qui ne l’empêche pas de l’inviter pour le lendemain. Plus tard encore, il part pour se promener en montagne dans de profondes forêts sauvages. Il prend le risque de se confronter aux ours qui y vivent. Il croise de vieilles paysannes qui travaillent les mains gantées. L’une d’elle lui explique qu’elle est une hibakusha : une rescapée de la bombe atomique. Avec une humilité qui transcende les frontières de l’âge et du lieu de naissance, leurs mains se rejoignent pour s’unir dans une compassion mutuelle. Tout dans ses pérégrinations attire le hasard jusqu’à faire sienne la phrase du poète Ikku : « Je ne me perds jamais, car je ne sais pas où je vais. »
On l’aura compris, tout dans le texte d’Alexandre Bergamini dévoile la poésie et l’humanité du monde que son « hypersensibilité physiologique des cinq sens » exacerbe au quotidien. Pas un seul instant dans lequel on ne perçoive son urgence à considérer autrui avec humilité et bienveillance, qu’elle que soit la rencontre. C’est ce qu’il nous conte avec délicatesse et générosité tout au long de son récit. Lequel, à l’instar des ouvrages nippons, mêle des poésies personnelles ainsi que celles de ses grands devanciers locaux, des notes diverses en fonction des circonstances pour mieux nous immerger dans un monde d’harmonie, mais aussi des citations d’une rare pertinence. Telle celle-ci de Fernado Pessoa sur laquelle nous pouvons tous méditer : « La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. »
Il y a urgence à le dévorer… Et à rencontrer son auteur à la Fête du Livre de Bron où il sera présent le samedi 15 février.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Vague inquiétude, Alexandre Bergamini, 160 pages, 15€, éd. Picquier. En librairie le 2 janvier 2020.
Fête du livre de Bron, une soif d’idéal, du 12 au 16 février 2020. Renseignements et programme sur fetedulivredebron.com.