Dans la ville de Wuhan, la minuscule échoppe de cireuses de chaussures que possède Mijie, une maîtresse-femme, est florissante. Veuve, issue des rangs de l’armée, elle sait prendre de mûres décisions qui l’ont toujours fait prospérer dans ce quartier complètement délabré de Lianbaoli où la rue Shuita grouille constamment de monde. Alors lorsque la jeune et distinguée Fengchun propose ses services, Mijie est surprise. Mais c’est pour faire réagir son mari qui la délaisse que la jeune employée se lance dans le métier ! Des relations ambivalentes s’installent entre les deux femmes sous l’œil toujours bienveillant de la belle-mère de Mijie qui, du haut de ses 80 ans, ne laisse jamais d’aider les deux femmes.
Et c’est ce qui fait la beauté de ce roman : comment des liens se tissent entre ces trois personnages féminins de trois générations successives et de deux milieux différents, qui ont dû et doivent assumer des responsabilités familiales, professionnelles et sociales. A travers la description de gestes infimes, du quotidien, Chi Li nous livre leur histoire intime. L’utilisation du point de vue interne est très pertinent. On comprend ainsi, à demi mots l’humiliation que la famille de Mijie a subie lors de la Révolution culturelle ou bien l’instabilité irrésolue de Fengchun due à sa jeunesse et à son manque d’expérience.
Mais c’est aussi le portrait attachant, construit en mosaïques, d’une ville-quartier qui fourmille et qui menace constamment de s’écrouler. Chi Li exprime avec finesse aussi la solidarité et l’éthique de ses habitants. « Ce qui les reliait entre entre, c’était une forme de loyauté et de générosité, une attention et une sincérité mutuelles, qui faisaient que si on vous empruntait une cuillerée de sel fin, on vous rendait une coupelle de légumes salés… » ! Mijie et sa belle-mère incarnent ce lien indestructible entre les habitants et leur quartier. Fengchun n’a aucun mal à s’y intégrer pour mieux s’affranchir d’un avenir qu’elle n’avait pas vraiment choisi.
Une très belle découverte à lire et à offrir à l’approche des fêtes !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Une ville à soi, Chi Li , traduit du chinois par Hang Ling et Vanessa Theilet, format 10X19, 192 pages, Actes Sud, parution le 7 novembre, 16,50€.