A l’instar des nikki de l’âge d’or de la prose féminine au Japon (1), Corinne Atlan nous fait partager son automne 2015 à Kyôto, mais plus encore ses quarante ans de connaissance du Japon et de son esprit.
Ainsi à travers le quotidien le plus ténu, elle nous fait pénétrer dans l’âme même de la ville et de ses habitants. Le jour où elle se trompe de bicyclette en rentrant d’aller acheter son pain elle nous conte de façon plaisante qu’un Kyôtoïte ne peut même imaginer l’idée de vol !
Avec elle, on déambule de paysage en paysage, de jardin en jardin, elle en décrypte le sens à travers des descriptions très précises. Comme celle du jardin Daisen-in, haut lieu de zazen en raison de « sa simplicité, sa profonde quiétude ». On découvre ainsi les richesses de nombreux temples. Kyôto en compte 1700 ! On ne peut entrer dans le Rurikô-in qu’après avoir copié des soûtras concernant le fameux « lac de lapis-lazuli » qui s’offrira plus tard aux yeux du visiteur !
A travers ces nombreuses descriptions Corinne Atlan met toujours l’accent sur l’importance de la sensation, du moment, la conscience de l’éphémère, de l’impermanence de toute chose, chères à la pensée nipponne. Elle accorde une attention quotidienne au changement de couleur des gingkos, des érables et à la beauté des chrysanthèmes.
Mais son livre est aussi une excellente introduction aux lettres japonaises et notamment à la littérature féminine. Elle parle ainsi « des deux joyaux de la littérature japonaise » que sont Le Dit du Genji de Murasaki Shokobu et Notes de chevet de Sei Shônagon. Elle visite la doyenne des lettres japonaises : Jakuchô Setouchi, nonne bouddhiste de 95 ans. Elle défraya la chronique en 1963 par son récit autobiographique La fin de l’été (2). Elle a écrit plusieurs centaines de romans et d’essais. La vieille dame s’implique aussi en politique et milite contre le nucléaire et pour une fraternisation mondiale !
Si le livre est un hymne à l’ancienne capitale impériale, son auteure ne cache pas une certaine inquiétude face aux changements inexorables. Le nucléaire d’abord, qui a « transformé les arbres en déchets contaminés ». La spéculation ensuite, qui démantèle les maisons traditionnelles car « seuls les terrains ont de la valeur, pas les maisons. »
Une magnifique promenade poétique, sensible, érudite et nostalgique.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) lire notre article sur Le journal de Sarashina, un exemple de nikki.https://asiexpo.fr/journal-de-sarashina-edite-aux-editions-verdier/
(2) seul roman de Jakuchô Setouchi traduit en français à ce jour et paru chez Philippe Picquier en 1999.
Un automne à Kyôto de Corinne Atlan, Albin Michel, 300 p., 18€. En librairie le 6 septembre 2018.