Gorô a une belle vie. Directeur d’une entreprise familiale fleurissante, il a utilisé sa position et son charme pour se construire une grande liste de connaissances prestigieuses. Il a une femme de bonne famille dévouée et deux enfants à qui il prépare des carrières importantes. Il a également deux maitresses, dont une magnifique actrice, qu’il voit régulièrement. Seule ombre à ce tableau, sa belle-mère qui détient encore la majorité de l’entreprise. Cependant l’heure de sa retraite arrive et il se voit déjà au premier plan. Il veut surtout battre sa demi-sœur, dont il est secrètement jaloux et qui est pleine de talent. Cependant rien ne va se passer comme il le souhaite comme lors d’une cérémonie auquel participait son amante actrice. Un enchainement de petits détails va l’entrainer dans une spirale dont il ne se doute même pas des conséquences…
Alors que notre personnage a l’impression de tout contrôler, que tous agissent selon ses désirs, rien n’est vrai. Au fur et à mesure des pages, il se rend compte que tout ce qu’il a créé, tout ce sur quoi il se reposait est en fait du vide. Il se veut un séducteur et se vante de sa facilité de jauger les personnes ? Il va se retrouver pris dans un piège auquel il ne s’attendait pas. Face à tout ce qu’il subir à sa famille plus ou moins consciemment, ses infidélités, sa pression sur ses enfants, on pourrait se dire qu’il n’a que ce qu’il mérite. Mais le mal n’est-il pas plus profond ? N’aurait-il pas une cause encore plus enfouie dans son passé et dont il ne se souvient plus ? Le souvenir d’une ancienne amante qu’il a abandonnée sans rien dire la veille de son mariage lui revient régulièrement : serait-ce une tentative de son subconscient de le faire réagir ?
Avec ce petit roman qui se lit facilement. Aki Shimazaki nous plonge dans les méandres de la psychologie humaine. On suit la chute inexorable d’un homme qui mesurait sa puissance à des mérites qui ne signifiait rien. Son concept de l’autorité masculine, l’éclat qu’il doit avoir par rapport aux autres, sa volonté de contrôle de la situation : il ne sait pas rendu compte que tout ce qu’il avait bâti l’éloignait de sa famille et des autres.
C’est également une sévère critique du patriarcat et de ses dérives, celui-ci étant encore beaucoup trop présent au Japon. Il y a aussi le problème des blessures enfantines, souvent invisibles, inconscientes et pourtant parfois dramatiques. Nous en revenons à la famille : s’il est difficile d’avoir une parfaite, il est important de lui prêter une attention de tous les instants. Elle doit également être construite avec tous les membres et ne pas uniquement suivre la volonté d’une personne. Et tous doivent être traités équitablement, quel que soit les circonstances, sous peine de créer des rancœurs.
Fabrice Docher
SUISEN d’Aki SHIMAZAKI (2016)
Drame / tranches de vie, Japon/Canada, Leméac/Actes Sud, avril 2017, 162 pages, livre broché 15 euros