Hypocondriaque, trafiquante de perles, gourmande, biologiste buccal – ça sonne bien -, nulle en stats et conseillère en diététique… Patricia, depuis son hôtel, est notre guide dans un pays où le liquide vaisselle sert aussi à laver légumes et fruits et où yaourt, chocolat et avocat sont inexistants.
Et donc, c’est le printemps ! Enfin l’été. La saison des pluies est finie, plus de gros orages, et les vêtements recommencent à coller à la peau version hammam portatif. Il est donc temps de faire les achats nécessaires pour faire face à la canicule : chapeau, crème solaire, éventail et parapluie.
Vous trouvez que je me contredis ? Fin de la saison des pluies = achetons un parapluie, et bien non. Quand il pleut, les chinois au choix se mouillent ou se couvrent de bâches vertes, bleues et jaunes. Ils couvrent également leurs vélos, charrettes, chargements divers du type : chaudron portatif où bouillonnent des beignets garantis 100% huile, accroché au vélo, pour apporter le petit déjeuner aux ouvriers vers 6h du matin. Ils peuvent aussi rester à l’abri sous un auvent en attendant que ça passe ou braver la pluie et nager dans la rue. J’en ai vu traverser les chaussures à la main (le système de drainage dans ma campagne a du mal à faire face aux gros orages, et la rue se transforme en piscine, à tel point que même notre chauffeur de bus FREINE au moment de tourner à droite au feu rouge ! et je dis bien rouge, mais ceci est un autre problème. Dernière option : ils consentent à utiliser un parapluie. De temps en temps, et de préférence noir, gris ou vert, dans tous les cas plutôt terne.
Par contre, l’été, toute jeune fille qui se respecte sort avec un parapluie pastel ou rose, parfois agrémenté de Mickey ou de la dernière star à la mode. Il s’agit d’épargner son teint de lait. Le préjugé que nous avions encore au XIXe siècle : peau foncée synonyme de travail au champ, paysan, bouseux, bref pas beau, tandis que peau pâle dit personne oisive, donc riche – ou dans tous les cas d’une catégorie sociale supérieure, donc belle, est extrêmement vivace en Chine. Un peu moins, peut-être, pour les hommes, chez qui un teint un peu plus foncé fait “sportif” – mais le concept est réellement très nouveau et n’existe absolument pas chez les jeunes femmes, dont la beauté est entre autre proportionnelle à la pâleur.
Le parapluie est donc un accessoire de survie indispensable en été, et il est à mettre dans la même catégorie que l’assemblage de savons et de crèmes nourrissantes-décapantes-rafraîchissantes et autres, qui ont la caractéristique commune d’être toutes “whitening” (blanchissantes).
C’est d’ailleurs un problème mineur je l’admets – pour ceux qui, comme moi, se méfient extrêmement du composant blanchissant en question : trouver un produit non “whitening” demande une grande patience. Je serais plutôt curieuse de connaître la composition chimique de tous ces produits, quant à leur “non nocivité”… Beaucoup de mes collègues ont la peau qui paraît curieusement décolorée, par “plaques” – heureusement elles ne sont pas transformées en damiers non plus et je me demande souvent dans quelle mesure ces produits qu’elles appliquent religieusement devant la glace matin et soir ne sont pas à l’origine de ce phénomène.
Enfin bref, l’obsession de la pâleur m’arrange : je n’ai besoin d’aucune excuse pour éviter le soleil et me tartiner de crème solaire (même si mon obsession personnelle vient de la lecture à l’adolescence d’un article dans “Femme actuelle” ou “Elle”, où étaient évoqués les cancers de la peau. De manière que je reconnais irraisonnée, je reste persuadée que m’exposer au soleil va me provoquer un cancer dans les deux ans, du coup, je bénis les chinoises et leurs ombrelles. Et puis ça met de la couleur dans les rues, même si ça rend aussi la navigation plus difficile : il faut louvoyer entre un milliard d’individus dont approximativement la moitié sont armés d’un parapluie.
Hormis le printemps et l’été, qu’est-il donc arrivé de beau ? Guilin, là où nous avons passé les vacances du nouvel an chinois. Guilin, c’est l’endroit que l’on voit sur toutes les cartes postales, avec des hautes montagnes au milieu d’une rivière, ou plutôt l’inverse. Et aussi des temples perchés sur certains des pics en question.
Bref, les chinois mangent de tout, tout le temps. En plus ou moins piquant. Cela dit, je ne prétendrais pas connaître les habitudes alimentaires d’une autre province ou même de la ville d’à côté. Mais, du moins, dans l’hôtel, je peux vous donner une idée de la diète d’un employé :
Le matin, pâtes chinoises frites à la cantine, c’est-à-dire à la poële avec lardons et coriandre, plus un bol de “congee” : une sorte de porridge de riz, avec aussi parfois des morceaux de porc, de la coriandre et des fils de gingembre. Brûlant, en plus. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça cale.
Sinon, quand on ne prend pas son petit déjeuner à la cantine de hôtel, parce qu’on travaille le soir, ou en congé, on va chercher une pâtisserie type gâteau de riz au miel (je crois), blanc et marron, que je trouve délicieux et que mes collègues trouvent trop sucrés, ou petits pains ronds fourrés à la viande ou à pâte brune non identifiée. Ou hot-dog sucré (pain brioché) ou autre pâtisserie qui paraît normale et inoffensive jusqu’à ce qu’on la goûte, et que l’on se rende compte que ce n’est pas sucré mais salé. Le tout accompagné de jus de soja en boîte chaud. Pas ma tasse de thé.
Le midi – qui commence à 10h30 pour certains ! heure d’ouverture de la cantine pour ce repas -, plateau repas : en plastique, divisé en compartiments quatre carrés et un rectangle. Le rectangle, le plus grand, est pour le riz blanc, qui accompagne tous les repas (il n’y a pas de pâtes en dehors du petit déjeuner), le plat de base. Dans les quatre compartiments restant, on met deux accompagnements, plats marinés relativement inidentifiables, mais supposés être sources de protéines, on peut reconnaître le poulet aux os, et le poisson aux arêtes, un accompagnement légume (vert, toujours vert, et bouilli, toujours bouilli. Y compris la salade verte), et un bol de soupe. Le soir, ouverture à 16h30, dernier repas servi à 19h30, rebelote : même plateau, même composition. Enfin, tard le soir, de 11h à minuit, snack de nuit si l’on est en poste à hôtel. Ce qui revient à prendre un deuxième petit déjeuner : pâtes et porridge de riz. Si l’on n’est pas à hôtel, barbecue. De nombreux employés descendent du bus avant le dortoir, à une heure du matin, pour une pause barbecue ou dumplings (raviolis) ou fondue (en hiver, la saison est passée pour la fondue).
Bref, tout ceci est grandement monotone et les grands absents sont également les fruits – un toutes les deux semaines en moyenne -, quasi inexistants dans notre régime. Un de mes ennuis majeurs, cela dit, tient au mode de préparation chinoise : les chinois ne séparent pas la viande des os, et coupent tout en même temps. Je les soupçonne d’ailleurs de couper avec le côté non tranchant du couteau. Le résultat est que la viande est toujours parsemée de petits os qui rendent la consommation extrêmement difficile, et qui expliquent également la coutume chinoise de recracher sur la table. Il est tout simplement impossible d’avaler une viande ou un poisson en l’état, à moins de vouloir finir son repas au choix à l’hôpital ou dans un cercueil. Et comme l’instinct de survie est aussi élevé ici que là-bas, les chinois recrachent donc os, arêtes, … sur la table, ce qui au départ ne surprend pas (on a lu un peu avant de venir), mais reste parfois difficile à encaisser. En voix off, on entend le conditionnement familial (ne parle pas la bouche pleine, ferme la bouche quand tu mâches, nettoie ton assiette et ne fais rien tomber sur la table, on mange son dessert en dernier et non, avant le plat principal …) dont la table chinoise paraît à peu près l’exact opposé !
C’est pourquoi de nombreux étrangers ont beaucoup de mal avec les repas “banquets” chinois. Indépendamment du fait d’apprécier ou non les plats chinois, on mange tout en même temps (sucré et salé], on vous force à toaster des verres de bière ou de baijo (voir définition dans mes précédentes chroniques) les uns après les autres, et les voisins recrachent sur la table, horreur et damnation ! J’avoue cela dit que, comme dans tous pays, certains sont “biens élevés” – et font cela discrètement et proprement, d’autres ne le sont pas toujours. Il est déconcertant d’écouter quelqu’un parler en ayant une vue directe et interne sur ses enzymes buccales en action (désolée pour les biologistes, je sais que repérer une enzyme à l’oeil nu n’est probablement pas possible. Ce sont mes origines marseillaises couplées à une méconnaissance totale de mes cours de biologie qui parlent. Enzymes buccales, au moins ça sonne bien).
Bref, en fait de traité, ça c’est révélé une collection d’observations plutôt décousues. Mais de toute façon, il est impossible de faire des traités en Chine, ça ne marche pas. Prenez l’exemple d’une amie, qui doit faire des rapports sur la plantation d’avocats en Chine. Elle n’a jamais pu savoir si il y avait 10 000 ou 1 000 hectares d’avocats dans ce pays. D’après les chiffres officiels de je ne sais trop quel organisme américain, 10 000, d’après un prof d’université agricole chinoise, 1 000 par ouï-dire, m’a-t-elle expliqué en ajoutant deux ou trois autres trucs techniques auxquels je n’ai strictement rien compris, mais bon, j’ai pris mon air le plus intelligent pour opiner du chef avec sagacité (en plus) et j’ai dû le faire aux moments stratégiques, vu qu’elle a eu l’air satisfaite. Enfin dans tous les cas, 10 000 ou 1000 c’est peanuts (cacahuètes) dans un pays de la taille de la Chine. Ce qui nous apprend, au passage, quelque chose d’autre sur la nutrition : les Chinois ne mangent pas d’avocat. Et pour en revenir à la conclusion illustrée par cette histoire : essayer d’écrire un traité sur l’alimentation chinoise avec chiffres à l’appui serait à la fois, probablement infaisable, et si faisable, faux de toute façon.
Sur ces considérations académiques propres à excuser ma paresse, je vais me coucher. La prochaine fois, je vous raconte la foire de Canton !
Bisous à tous et à toutes,
(mai 2007)
Pays : Chine