NTERVIEW de Marrie LEE
Bobby A. Suarez souhaitait-il relancer l’industrie cinématographique ?
Quelle “industrie cinématographique singapourienne” ? (rires). Il n’y avait RIEN !
Bobby est parti à Hong Kong pour créer l’Intercontinentale, une société de distribution de films hongkongaise. Il est venu à Singapour pour tenter de monter des filiales et “étendre” son circuit de diffusion. Il avait rêvé pouvoir toucher la plus grande audience possible, ne pas se satisfaire du seul marché asiatique, mais pouvoir distribuer ses films un peu partout dans le monde… un peu à l’image des Shaw Brothers.
“Cleopatra Wong” a donc été l’un des fers de lance de son ambitieux projet ?
Oui… “Cleopatra Wong” a été tourné dans trois pays différents : Singapour, Hong Kong et les Philippines. Le tournage à Singapour a été très amusant ; j’y avais tous mes amis et ma petite famille et ils venaient me voir pendant le tournage. J’étais assez embarrassée, parce que je ne voulais surtout pas les décevoir et toujours donner le meilleur de moi-même.
Bobby surveillait en permanence ma ligne. J’ai toujours eu un visage poupin ; il venait me voir et me disait : “Es-tu consciente, qu’en général, l’écran déforme de près de 30% le visage des acteurs ?!! Il faut que tu manges moins et que tu perdes du poids !”.
Avant le tournage, j’ai subi au quotidien un entraînement intensif aux Philippines. On commençait par de simples exercices : il s’asseyait sur mes pieds et me disait de faire 150 à 200 “sit-ups”. Il m’interdisait de boire la moindre goutte d’eau durant toute la séance d’entraînement au point de m’accompagner aux toilettes et de me demander d’ouvrir la porte avant que je ne tire la chasse d’eau pour veiller à ce que je ne boive pas l’eau des toilettes !!! Il a été très, très sévère.
Avez-vous répété les combats avec les autres acteurs avant le tournage ?
En général, nous imaginions les chorégraphies des différentes scènes d’action sur les lieux même du tournage. Puis nous les répétions trois à cinq fois en fonction de leurs longueurs et de la difficulté des mouvements à exécuter. Parfois, il fallait que je me fasse d’abord frapper avant de pouvoir bloquer les attaques de mes adversaires et de contre-attaquer; il y avait donc un grand nombre de coups à enchaîner et il ne fallait surtout pas oublier l’un ou l’autre mouvement.
Il n’est pas facile de faire semblant de se battre, surtout en portant autant de coups avec les poings et les pieds. Il faut vraiment beaucoup d’agilité pour élancer le poing avec force et l’arrêter à quelques millimètres de son adversaire ; tout est dans le mouvement…
Comment Bobby A. Suarez a-t-il eu l’idée d’un cross-over des aventures de “Cleopatra” et du “Bionic Boy” ?
En fait “Bionic Boy” a été sa première coproduction avec Singapour. Il a repéré Johnson Yap au cours d’un tournoi. Johnson excellait dans les arts martiaux; il était second dan de taekwondo, second dan de karaté et que sais-je encore… Un type vraiment très doué. Bobby lui a proposé, à l’issue de ses combats, de mettre en chantier le premier épisode des aventures de “Bionic Boy”. Quelques temps plus tard, Bobby a eu l’idée de tourner un film d’action avec pour personnage principal une femme. Il était logique qu’il envisage de “mélanger” ses propres créations, d’imaginer les aventures du duo composé par le Bionic Boy et de Cleopatra Wong. A cause de notre différence d’âge, je suis donc devenue la tante de Johnson Yap, Tante Cleo !
Comment s’est terminée cette belle aventure ?
Ayant signé un contrat de trois ans, l’aventure s’est donc arrêtée au terme de ce contrat. Bobby m’a ensuite proposé un nouveau deal portant sur trois ans. J’étais jeune à l’époque, je n’avais que vingt ans, lorsque le premier contrat s’est terminé. Je n’avais aucune vie sociale, peu de temps libre, pas de petit ami – pas de temps pour m’amuser et profiter de la vie ! Bien que Bobby ait toujours été fair-play et prévenant, il a été sévère, je me suis rebellée. J’étais jeune, j’ai voulu lui tenir tête et j’ai refusé sa proposition. J’ai donc quitté les Philippines pour rentrer à Singapour. A mon retour, j’ai reçu une offre d’un studio hollywoodien. Un producteur avait vu “Pay or Die” (aka “Cleopatra Wong 2 : Devil’s Three”) et avait apprécié mon personnage et mon interprétation. Il m’a fait une offre alléchante. Il avait pour projet de relancer la série des “Charlie Chan”, le célèbre détective chinois. Je devais interpréter sa fille, “Asie Chan” le temps d’un téléfilm pour tester la réaction du public, une série devait suivre éventuellement. Puis tout Hollywood a été paralysé par la grève des gens de la profession. Les répercussions ont été telles que de nombreux projets – dont le mien – ont été suspendus. Lorsque les exécutifs m’ont rappelée plus d’un an après, je venais de me marier et mon époux m’a interdit de continuer dans le milieu cinématographique. Et voilà envolée ma carrière d’actrice. Je pense, que ma situation aurait été toute autre, si j’avais accepté d’aller aux Etats-Unis…
Propos recueillis dans le cadre du Festival “Black Movie” en février 2006 à Genève.
Pays : Singapour