Pèlerin des nuages et des eaux d’Hôsai paraît à la table ronde.

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La notion de poète est bien souvent associée à celle d’insatisfaction, voire de mal-être. Celui qui en est atteint a toujours le plus grand mal à s’intégrer dans les structures rigides de la société. Pour ce qui est de la France, Baudelaire, Verlaine et surtout Rimbaud en sont d’emblématiques représentants.

Qu’en est-il alors d’un artiste japonais au tournant du XXe siècle ? Moment au cours duquel toutes les règles ancestrales de ce pays fermé sont chamboulées.

C’est ce que nous présentent Rikako Fujii et Dominique Chipot dans la compilation qu’ils ont réalisée des poèmes d’Hôsai : « celui qui a lâché prise » sous le titre : Pèlerin des nuages et des eaux.

Pendant toutes sa scolarité, Ozaki Hôsai publie de nombreux haïkus dans diverses revues dont certains dénotent bien de sa recherche spirituelle, « À la fin du printemps / l’esprit ouvert / vers la voie bouddhiste ».

Cependant, d’autres formes d’écriture l’attirent tout autant. Mais une seule nouvelle de lui nous est connue, train de nuit.

À 17 ans, en classe préparatoire, il se plonge avec acharnement dans la philosophie occidentale à la recherche d’autres voies spirituelles pour affronter une existence dont il ne comprend pas la raison d’être. Sans guère de résultats, toutefois. Ce qui ne l’empêche pas de garder un certain humour, « Je vous l’avais bien dit ! / je passe le portail / et il pleut ».

Diplômé en juin 1905 de la faculté de droit à Tokyo, il commence à travailler sans abandonner son art. Or en 1911, une scission s’opère au sein des haïjins : auteurs de haïkus. En effet, le maître Shiki opte pour ne plus subir les normes poétiques traditionnelles. La forme libre du haïku naît. Hôsai s’engouffre dans la brèche pour notre plus grand enthousiasme. « Retour au pays natal / le vol des lucioles au portail / quel plaisir ! »

Plus tard, il se plonge à nouveau dans le bouddhisme zen sans plus de résultat. Seule la volonté d’un individu peut lui permettre d’atteindre le satori. Mais il reconnaît volontiers qu’il en est incapable.

Après un parcours chaotique de plus de 24 ans comme salarié, il est licencié pour alcoolisme. La maladie ne l’épargne pas non plus. Sans être une libération, cette mise à l’écart lui permet d’être plus en phase avec lui-même. Les contraintes et le carcan du travail ne furent jamais sa tasse de thé.

Il erre de temple en temple pour succomber, le 7 avril 1926, sur l’île de Shôdoshima, à une grave maladie. Il refuse toute hospitalisation. « Mon ombre si seule / j’ai bougé pour la regarder ».

Bien moins connu que les grands noms du haïku, Hôsai n’en est pas moins un immense poète de la modernité. « Des allumettes / soufflées une à une / je parle avec le vent marin ». La mer et la solitude le satisfont plus que tout au monde. « Le vent maritime / me traverse / toujours seul ».

Voici une très belle édition bicolore et bilingue avec transcription phonétique du japonais. Quelques photographies posées du poète introduisent le recueil.

Et pour conclure avec Hôsai : « Je viens de loin / du bord de la mer / dans le crépuscule ». Tout est dit.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

Pèlerin des nuages et des eaux d’Hôsai, traduit du japonais par Rikako Fuji et Dominique Chipot, 288 pages, 23€, éd. de la table ronde. En librairie depuis le 25 avril 2024.

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