Comme toujours au mois de mai, sort un nouvel opus d’Aki Shimazaki. Elle poursuit en effet son nouveau cycle romanesque commencé avec Suzuran, puis Sémi et No-no-yuri ! Notons que ce dernier opus paraît aussi en audio CD et format numérique (1).
Niré est raconté par Nobuki, le benjamin de la famille éponyme. Il est ingénieur civil dans une compagnie de construction. Il a 37 ans et est marié avec bonheur à Ayako, professeure de piano. Ils ont 2 fillettes de 9 et 10 ans. Alors qu’il ne pensait plus avoir d’enfant, sa femme lui annonce qu’elle est enceinte, ce qui ravit toute la famille et en particulier Tetsuo, son père, qui rêvait d’avoir un petit fils pour perpétuer son nom. « Niré » signifie « l’orme » et « Nobuki » « l’arbre fidèle ». Depuis sa plus tendre enfance, le narrateur en est très content. Il l’avait même écrit à 7 ans dans une rédaction que son père vient de retrouver !
Et ce point de départ sur le thème de la famille permet à Aki Shimazaki de décliner bien des nuances de la parentalité à travers la tradition, mais aussi et surtout les aléas de la vie. De la famille classique à l’atypique avec adoption en passant par l’orphelinat, l’autrice revient plusieurs fois sur cette idée à travers différents motifs. C’est l’enfant qui choisit de naître ou pas, qui choisit aussi ses parents. À l’instar de la petite Suzuko ( fille de Kyoko, l’aînée des Niré, adoptée à sa mort par sa sœur Anzu ) qui a rétorqué à un camarade qui lui disait qu’elle n’avait pas de mère car elle était adoptée : « Tu as tort. J’ai deux vraies mères. Maman qui m’a mise au monde et maman qui m’élève. Et c’est moi qui ai choisi les deux.»
En outre, à travers le journal intime que sa mère Fujiko avait caché dans l’ancien petit bureau d’enfant de Nobuki et que sa fille trouve à la faveur d’un réaménagement de sa chambre (le lien entre les générations est partout !), le narrateur explore durant les mois de grossesse de sa femme, ce qu’a ressenti et pensé sa mère au moment où elle avait encore la possibilité de stabiliser sa mémoire. Il faut dire que Fujiko a la maladie d’Alzheimer, ce qui a poussé le couple à aller vivre dans une « résidence » pour personnes âgées. Nobuki fait une découverte terrible dans ce journal.
Japonaise vivant à Montréal, Aki Shimazaki écrit en français des histoires absolument japonaises et pourtant tellement universelles. On retrouve ici son style minimaliste avec l’acuité du quotidien et de l’intime. Nobuki se raconte au fil des saisons, du mois de mai, son préféré avec octobre, au mois de janvier, date de l’accouchement. Et pendant ces 9 mois, il apprend à accepter que sa mère ne le reconnaisse plus. Il grandit en somme et devient adulte, égal à égal face à ses parents. Il éprouve enfin « un sentiment de paix et d’harmonie » lorsqu’il est avec Fujiko.
Un grand roman sur la famille écrit avec une économie de mots extraordinaire !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique sur Suzuran : https://asiexpo.fr/suzuran-daki-shimazaki-parait-chez-actes-sud/, celle sur Sémi : https://asiexpo.fr/semi-daki-shimazaki-parait-aux-editions-actes-sud/ et celle sur Yo-no-yuri : https://asiexpo.fr/no-no-yuri-daki-shimazaki-parait-aux-editions-actes-sud/
Niré Une clochette sans battant , Aki Shimazaki, 144 p., 16 €, éd. Actes Sud. En librairie le 3 mai.