“A l’époque où le monde était encore désolé et inhabité, un dragon doré descendit des nuages en formant des cercles au-dessus de la terre. Se posant près de la mer, il se transforma en jeune homme. C’était Lac Long Quan, ancêtre de tout le peuple du Lac Viet et père des rois Hung. Longeant un ruisseau, il rencontra un tigre géant tenant un oiseau blanc entre ses griffes, il le délivra et le vit alors se transformer en princesse vêtue de soie. Elle se nommait Au Co. Ensemble, ils s’installèrent près de la rivière. Quelques temps après, elle donna naissance à cent œufs d’où sortirent cent jeunes hommes forts et vigoureux. Au printemps, elle décida d’aller dans la montagne avec 50 de ses fils alors que Lac Long Quan restait sur la côte avec les cinquante autres. Au Co leur montra comment défricher, cultiver, construire les digues et les canaux d’irrigation. Lac Long Quan leur montra comment pêcher. Peu à peu de nombreux villages se développèrent formant le peuple Viet des montagnes et des deltas.”
Ce mythe fondateur définit parfaitement la société vietnamienne qui se pense comme une grande famille. Celle-ci est en effet le pilier central de toute l’organisation sociale. Les villages, les districts, les institutions reproduisent le modèle familial de la figure paternelle responsable des enfants. Bien que la société traditionnelle ait été fortement ébranlée par les guerres et les idéologies, la famille et la religion restent des valeurs sûres et respectées.
Les croyances vietnamiennes sont riches, variées et bien souvent amalgamées. Confucianisme (devoirs familiaux et civiques), taoïsme (compréhension de l’univers), et bouddhisme sont appelés Tam Giao, la triple religion, sur laquelle se greffent culte des ancêtres, superstitions populaires, animisme. Beaucoup de choses et comportements s’expliquent par la mentalité profondément fataliste des Vietnamiens. Si un événement fâcheux se produit, cela devait arriver car tout est écrit à l’avance dans l’Agenda Céleste de la Destinée pour les 10 000 ans à venir. Un vulgaire humain n’a pas la moindre chance de changer quoi que ce soit. D’où l’attitude stoïque face à un accident de la route ou celle de jeunes s’adonnant le samedi soir à des courses effrénées en scooter, yeux masqués par la passagère arrière, ne devant leur vie qu’à leurs seuls destins. Les horoscopes jouent également un rôle de choix dans cette vision déterministe du monde. Ainsi, des amoureux ne peuvent se marier si les horoscopes sont en leur défaveur. Une amie racontait l’histoire d’un oncle mort dans un accident de moto car l’horoscope de sa femme combiné à celui de sa fille juste née lui était néfaste. Cette croyance touche tous les domaines, naissance, quitte à la provoquer artificiellement mais aussi achat d’une maison, semences, départ en voyage… tout est prétexte à la consultation d’un géomancien.
Dans toutes les communes on trouvera un autel dédié au génie tutélaire fondateur du village mais aussi aux personnages illustres, héros, empereurs ou encore aux animaux légendaires, dragon pour sa droiture, licorne annonciatrice de bonheur, tortue pour la longévité. La tortue est également le symbole de la réussite aux examens. Ainsi, avant les épreuves, toutes matières confondues, les centaines de sculptures de tortue à travers le pays se font tendrement caresser la tête par les étudiants.
Dans chaque foyer on remarquera l’autel des ancêtres, jusqu’à la cinquième génération. Le culte est rendu par le descendant le plus âgé. Les ancêtres qui, selon la croyance continuent de vivre parmi leurs descendants, accorderont protection et bienfaits à la condition d’être honorés et d’avoir une tombe entretenue. Manquer d’honorer la mémoire de ses ancêtres figure parmi les “six crimes atroces”. Ce culte exige par ailleurs de tout vietnamien qu’il se marie et ait un fils pour assurer la pérennité du rite.
L’autel familial sert également pour d’autres déités comme le Dieu de l’eau, des montagnes, des cuisines… A chacune est consacrée une journée durant laquelle on brûle des bâtonnets d’encens, fait des offrandes de fruits, d’alcool, de papiers votifs (entre autres des billets de banque en dongs ou dollars) et l’on récite des prières. La rue peut également servir d’autel et il n’est pas rare les premiers jours de se prendre à ramasser un billet de 100 dollars avec un large sourire qui disparaît bien trop vite.
Hanoi, septembre 2007
Pays : Vietnam