Après les carnets ukrainiens et les carnets russes, le dessinateur italien Igort se lance avec succès dans les carnets japonais. Il connaît bien le pays et sa culture pour y avoir collaboré pendant 11 ans avec l’un des plus gros éditeurs de mangas : Kodansha Publishing. Il nous plonge ainsi dans le monde du manga vu de l’intérieur, avec son rythme de création effréné, ses relations énigmatiques à l’éditeur, ses rencontres d’artistes contemporains.
Mais c’est surtout la rencontre plus sensible avec la culture japonaise à travers ses emblèmes littéraires tels Tanizaki ou Mishima, cinématographiques avec ses recherches de films de Suzuki, Misumi ou Immamura, mais aussi avec sa visite du studio Ghibli en compagnie de Miyazaki, ou sa découverte de Takahaka avec Le tombeau des lucioles. C’est paradoxalement ; lorsqu’il abandonne la trame autobiographique que ces carnets sont les plus intéressants avec des planches à la fois documentaires mais aussi très artistiques à travers lesquelles on découvre ce qui constitue cette culture japonaise, notamment avec Kiku, le chrysanthème ou bien le secret de l’iki… Igort mêle ses propres vignettes à des dessins, des photos anciennes, des reprises d’estampes et gagne une grande liberté. L’album acquiert ainsi une densité, une profondeur au fil des pages, à mesure qu’il remonte aux sources de la société japonaise avec les « burakumin » par exemple : ces exclus de la société japonaise, mais aussi aux sources du “manga” avec ceux d’ Hokusaï dont il reprend les derniers jours et les pensées ultimes.
Une très belle introduction donc à l’esprit japonais, à cet empire des signes, à la fois mystérieux et foisonnant, qu’il nous aide à décrypter pour notre plus grand plaisir.
Camille DOUZELET